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Antidote au culte de la performance dans les métiers du conseil VF
La performance dans les métiers du conseil et le concept de robustesse
Le court ouvrage du biologiste spécialiste des plantes Olivier Hamant, paru dans la collection Tracts, chez Gallimard, propose une réflexion profonde sur notre société contemporaine, obsédée par la performance.
Cette performance, pensée comme la somme de l’efficacité (atteindre ses objectifs) et de l’efficience (avec le moins de moyens possibles) constitue, selon l’auteur, une addiction à laquelle nous devons nombre de nos maux. Sa critique peut se rassembler en quatre points :
L’optimisation (en vue d’être plus performant) fragilise.
L’optimisation, qui se trouve être au cœur des métiers du conseil, consiste à s’ajuster au plus près de l’environnement, c’est-à-dire à diminuer les marges de manœuvre. Or l’environnement est de plus en plus fluctuant, non seulement dans le domaine du climat comme les récentes et gigantesques inondations à Valence en Espagne nous l’ont une fois de plus démontré, mais aussi dans nos systèmes économiques fragiles, parce que suroptimisés (par exemple la panne informatique des systèmes Windows, l’été dernier, causée par un problème chez le fournisseur Crowdstrike). Ce qui est optimisé aujourd’hui ne l’est pas du tout demain et entraîne de la fragilité.
L’effet rebond
Nous pourrions imaginer compter sur notre capacité à être de plus en plus performants pour résoudre nos difficultés. Ainsi, par exemple, face à la crise climatique, certains pensent que l’accroissement de la performance énergétique va nous permettre de vivre comme avant (avec la même efficacité) en devenant plus efficients : avions verts, électricité sans CO2, etc. Cependant, nous constatons qu’une amélioration de la performance énergétique appelle invariablement un accroissement de l’usage. Comme le coût diminue, il devient possible d’en consommer plus et cette augmentation dépasse l’économie constatée de prime abord. C’est l’effet rebond, qui amène à une situation inverse de celle que nous pouvions espérer : une sobriété qui sert de levier à une consommation encore plus grande de ressources.
La loi de Goodhart
Cette loi stipule que « lorsqu'une mesure devient un objectif, elle cesse d'être fiable. »
Elle a été formulée par un économiste, Charles GoodHart, en 1975 et elle s’applique bien aux indicateurs de performance.
Formulée autrement, la loi dit que l’atteinte de la valeur de l’objectif ou de la mesure se substitue à l’atteinte de l’objectif qu’on essaye de mesurer.
Des tels objectifs convoquent en effet aisément la triche, la manipulation, la dissimulation, parfois de façon non consciente. Le commercial rémunéré au chiffre d’affaires va (ou va être tenté de) sacrifier la rentabilité pour atteindre son objectif ; le technicien ou l’ingénieur vont mettre sous le tapis des problèmes pour atteindre leurs objectifs de qualité.
Le sociologue François Dupuy a largement commenté le décalage entre les intentions de ceux qui créent des processus et des indicateurs et les résultats réels.
La performance a un coût
La performance socio-économique se nourrit de matières premières prélevées sans mesure. Les conséquences de notre performance socio-économique ne sont plus à démontrer : crise climatique, effondrement de la biodiversité, pollution massive… Plus un seul mètre carré sur Terre qui ne porte l’empreinte des activités humaines, plus une goutte d’eau sur la planète qui ne contienne du plastique. Les conséquences de notre surperformance sont visibles : de plus fortes tempêtes, des méga-feux, des inondations qui rendent les activités humaines plus incertaines et plus sujettes à des événements perturbants. Autant d’éléments qui rendent la recherche de performance contre-productive et le futur plus incertain, parce que plus fluctuant.
De la performance à la robustesse : une nouvelle approche du conseil
Olivier Hamant nous invite à envisager une approche différente : celle de la robustesse plutôt que de la performance. Inspiré par les systèmes biologiques, il prône des qualités telles que la redondance, l’hétérogénéité et l’adaptabilité, qui sont autant de caractéristiques du vivant que de bases solides pour des entreprises pérennes dans les tempêtes.
Pour les consultants, cette vision se traduit par une réévaluation des priorités. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur des résultats immédiats et mesurables, il s’agit de penser en termes de robustesse d’abord, c'est-à-dire d'aider les entreprises à construire des systèmes capables de survivre et de prospérer face aux imprévus. La robustesse implique d’accepter une part d’incertitude, de laisser de la place à l’imperfection et à l’expérimentation. Il ne s'agit pas d'un retour en arrière ou d’un rejet de l’innovation, mais plutôt d’une invitation à diversifier les activités et les interactions et à mettre en valeur le jeu dans les rouages pour autoriser des dynamiques plus durables.
S’inspirer du monde vivant
Les crises environnementales auxquelles nous faisons face ne menacent pas le monde vivant. Elles menacent l’habitabilité de la Terre pour les êtres humains. Le monde vivant va s’adapter, comme il l’a fait dans les crises passées dont les cinq grandes extinctions.
Pour cela, il manifeste des qualités qui s’apparentent à des défauts dans notre représentations actuelles : lenteur, redondance, génération aléatoire d’erreurs, inachèvement, incohérences…
Autant de facteur de sous-optimalité qui, a contrario, ménagent des marges de manœuvre pour mieux résister aux fluctuations de l’environnement… Qu’il nous suffise de quelques illustrations :
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Le système immunitaire humain est à son optimum d’efficacité à 40°C. La plupart du temps, à 37°C, il est donc plutôt en mode « dégradé ». Cela permet de se ménager quand, à 40°C, le corps peut développer de nouvelles capacités et prendre le pathogène par surprise. Mais à 40°C, les protéines du systèmes immunitaires s’épuisent aussi : après trois jours à cette température, les protéines commencent à se dénaturer.
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La plupart des constituants des êtres vivants – cellules, tissus, organes – sont soumis à l’action de forces antagonistes : la pulpe de l’aubergine est compressée, sa peau est tendue. Cela génère des équilibres dynamiques plus à même de résister à des chocs, un peu comme un ballon de baudruche avec son enveloppe en tension et son contenu en compression. L’autonomie (mécanique) est le produit de deux forces de destruction, en équilibre.
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Les erreurs dans la réplication des cellules génèrent des mutations et de l’hétérogénéité qui donnent des capacités d’exploration, et donc de résistance face à des agressions imprévisibles. Au lieu de prévoir, le vivant se prépare.
Intégrer la redondance et l'hétérogénéité dans le conseil
L’idée de redondance, souvent mal perçue comme une perte d'efficacité, est en réalité un gage de viabilité. Dans le conseil, cela signifie favoriser des solutions qui ne reposent pas uniquement sur un modèle unique ou une stratégie « gagnante », mais qui permettent des approches multiples, diversifiées et adaptables selon les circonstances. Par exemple, plutôt que de concentrer les efforts sur une seule méthode de gestion ou d’innovation, un consultant pourrait proposer des stratégies qui laissent place à l’expérimentation et à l'adaptation continue, préparant ainsi l’organisation à évoluer face à des environnements changeants.
L’hétérogénéité, quant à elle, encourage la diversité des idées, des processus et des acteurs. Dans une démarche de conseil, cela se traduit par la valorisation des équipes pluridisciplinaires, des points de vue variés et des expériences multiples au sein des organisations. Il s’agit ici de reconnaître que si une solution optimale peut être identifiée, dans un monde fluctuant, il ne vaut mieux pas la suivre, et plutôt prendre des marges autour d’elle. Être sous-optimal, comme le vivant. La capacité à jongler avec différentes approches est une force dans un environnement incertain.
Favoriser le temps long et l’inachèvement
Une autre facette essentielle du modèle de robustesse proposé par Hamant est l’acceptation de l’inachèvement et la reconnaissance du temps long. Dans le métier du conseil, où les solutions rapides et immédiates sont souvent privilégiées, cette idée peut sembler contre-intuitive. Pourtant, c’est en laissant du temps aux processus d’évoluer et en acceptant que tout ne peut être résolu instantanément que les organisations et les consultants peuvent construire des fondations solides. Le temps long permet non seulement de mieux intégrer les incertitudes, mais aussi de tirer des enseignements des erreurs et des ajustements nécessaires. Cette approche permet surtout d’éviter de tomber dans le « piège de l’efficacité » qui peut donner satisfaction à court terme, mais qui verrouille la trajectoire dans un chemin toujours plus étroit et toujours moins adaptable.
En ce sens, le rôle du consultant ne devrait pas être celui d’un pourvoyeur de réponses définitives, mais plutôt celui d’un accompagnateur qui guide les entreprises dans un processus continu de transformation et d’adaptation. Cela requiert du consultant de la patience, de l’humilité, et une capacité à accepter que la solution parfaite n’existe pas, mais que des ajustements constants permettent d’améliorer les pratiques sur le long terme.
Vers un modèle de conseil plus durable
L’un des points cruciaux de la réflexion d’Olivier Hamant est que la performance, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, nous rend vulnérables aux crises futures. Cela est particulièrement pertinent dans le métier du conseil. En axant les recommandations sur des résultats immédiats, on néglige les transformations profondes qui sont nécessaires pour assurer la pérennité des organisations.
La recherche de robustesse permettrait aux consultants d’élaborer des solutions plus viables, qui intègrent les incertitudes et prennent en compte les aspects imprévisibles de l’environnement économique, social et écologique. Cela signifie encourager les entreprises à ne pas viser la perfection ou l’optimisation maximale, mais à rester flexibles, à tolérer une certaine imperfection, et à intégrer des mécanismes de robustesse au cœur de leurs pratiques.
Conclusion
En appliquant les principes de la robustesse d’Olivier Hamant aux métiers du conseil, nous proposons un changement de paradigme : passer de l’obsession de la performance à la recherche de la robustesse des organisations. Les consultants ont un rôle clé à jouer en aidant les organisations à bâtir des structures capables de résister aux fluctuations de leur environnement. En s’éloignant des solutions optimisées à outrance pour privilégier des approches plus ouvertes, plus diversifiées et plus adaptables, le métier du conseil pourrait devenir un acteur essentiel de la transformation durable des entreprises, pour affronter les défis de demain.
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