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Mener sa R&D en partenariat : rêve ou réalité ?

12 octobre 2020 La lettre de XMP-Consult
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Depuis la sous-traitance contractualisée de projets de R&D jusqu’à la création de laboratoires communs, de nombreux types de partenariats de R&D avec des laboratoires académiques ou des centres de recherche s’offrent aux entreprises qui souhaitent externaliser tout ou partie de leur R&D.

Avec des exigences des clients en progression constante et un environnement concurrentiel se renforçant en permanence, l’entreprise industrielle technologique que j’ai dirigée pendant près de 20 ans et dont l’innovation était au centre des avantages concurrentiels, a réussi à acquérir puis à maintenir son leadership mondial en grande partie grâce à une organisation originale et efficace de sa R&D, en partenariat.

Voici un partage des enseignements que j’ai tirés de cette expérience.

Externaliser de la R&D : pourquoi ?

Dans un monde où l’innovation est souvent synonyme d’avantage concurrentiel, il peut paraître contre-intuitif pour une entreprise technologique d’externaliser sa R&D. Et pourtant, de nombreuses entreprises parmi les plus innovantes y ont recours. Les avantages sont nombreux, et contrebalancent largement moyennant quelques précautions les risques pris.

Ces derniers se limitent pour l’essentiel aux questions liées à la maîtrise des savoir-faire de l’entreprise et à la confidentialité de sa stratégie, de ses développements ou même de ses centres d’intérêt du moment.

A contrario, les avantages d’une externalisation sont nombreux :

  • Des économies de structure, les équipes de R&D n’ayant pas besoin d’être quantitativement adaptées à l’intégralité des projets de R&D.
  • Des gains en délais de développement par la disponibilité immédiate de compétences de spécialistes parfois rares qu’il n’y a pas besoin de rechercher, d’embaucher et de former.
  • Une créativité accrue par rapport à ce que peuvent fournir des équipes industrielles monolithiques, voire consanguines, fonctionnant en circuit fermé, grâce à la confrontation des approches et des idées des équipes issues de milieux divers, qui ont l’habitude de travailler avec des horizons temporels différents et qui peuvent se challenger mutuellement.
  • Les opportunités pour l’entreprise de profiter des résultats de recherches menées par les partenaires dans des domaines connexes, assimilables moyennant des adaptations à la marge sans avoir à « réinventer la roue », et donc à des coûts et délais réduits.

 

Laboratoire commun ou contrat de sous-traitance ?

Un contrat de sous-traitance avec obligation de résultat n’est absolument pas adapté à la R&D, encore moins si les clauses contractuelles prévoient des pénalités financières en cas de non-tenure d’engagements. Imposer une telle obligation conduit le partenaire à se faire financer des études qu’il a déjà menées et parfois publiées. Le risque est alors que des ressources de l’industriel soient détournées au profit d’un soutien financier du partenaire sans véritable contrepartie. Une obligation de moyens n’est pas la panacée non plus, car elle ne peut que créer tensions, suspicions et frustrations parmi les équipes de part et d’autre tant il est difficile d’apprécier, encore plus en cas d’échec, si réellement les moyens suffisants ont été affectés au projet.

Un contrat de laboratoire commun, qu’il soit sans murs ou qu’il prévoit une colocalisation des équipes, est très préférable. Il est toutefois la concrétisation d’une relation intime et inscrite dans la durée entre les partenaires, préexistante ou voulue.

Un laboratoire commun est intéressant pour les 2 partenaires, car il permet de contractualiser un engagement pluriannuel sur un programme de R&D et un budget, révisés et mis à jour régulièrement au moins une fois par an ou en tant que de besoin, donnant de la visibilité aux partenaires pour prévoir investissements et embauches, et fixant des objectifs agréés par les partenaires à court, moyen et long termes.

Pour bien fonctionner, une gouvernance doit être mise en place, avec des comités paritaires, dans lesquels l’industriel en tant que contributeur financier principal a une voix prépondérante. Cette gouvernance doit au moins comprendre un comité stratégique qui arrête le programme et les budgets annuels et leur mise à jour en cours d’exécution, et un comité opérationnel qui gère au jour le jour l’exécution du programme annuel.

Les règles de gestion de la propriété intellectuelle (PI) doivent être établies avec beaucoup de soin. Une bonne politique peut être pour l’industriel de laisser le laboratoire disposer de la PI développée au cours du programme, sous réserve d’une participation du laboratoire au financement du programme, le laboratoire concédant à l’industriel une licence gratuite exclusive et irrévocable dans son domaine, s’engageant à requérir l’accord de l’industriel en cas de projet de licence hors domaine au profit d’un tiers et pouvant utiliser librement la PI pour ses besoins propres.

De même, les règles pour les publications doivent être claires. Par exemple, leur soumission avant publication à l’accord du comité stratégique me semble adapté.

Les clefs du succès d’un laboratoire commun.

Il est indispensable d’établir un climat de confiance entre les équipes des partenaires. Le pire serait qu’elles se cachent la copie l’une à l’autre. Cela semble une évidence, mais beaucoup de laboratoires communs ont sombré parce que cette confiance n’était pas installée.

D’abord, la sélection des projets inclus dans le programme du laboratoire commun et ceux qui resteront à la charge exclusive de la R&D interne de l’entreprise parce que moins scientifiques ou à plus court terme, permet de valoriser les différences entre les équipes et d’éviter d’entretenir une concurrence entre elles qui serait contre-productive.

Ensuite, accepter l’échec, évènement toujours probable dans une activité d’innovation, encore plus si les projets les plus risqués sont justement confiés au laboratoire de recherche, contribue à travailler en toute visibilité et à entretenir la confiance.

Par ailleurs, il est indispensable qu’il y ait un accord sans aucune ambiguïté sur les attentes respectives des partenaires l’un vis-à-vis de l’autre. Au-delà des objectifs des projets et des moyens mis en œuvre, il est clair que les résultats issus d’un laboratoire ne peuvent pas passer en production sans une phase d’industrialisation. Un laboratoire de recherche est à l’aise dans la démonstration du potentiel d’une technologie, mais n’a pas les compétences ni souvent la motivation pour en garantir le passage en production. Les travaux d’industrialisation peuvent d’ailleurs conclure de l’inadéquation d’une technologie avec les exigences d’une production industrielle, par exemple si une fenêtre de process est trop étroite.

Dans le même ordre d’idées, il est inconcevable d’attendre du laboratoire de recherche de participer au support à la production en cas de difficultés rencontrées. Le support à la production travaille en effet dans ces cas dans l’urgence avec des horizons très court terme, et recherche des solutions faciles et surtout rapides à mettre en œuvre, sans forcément en analyser tous les tenants et aboutissants scientifiques. On est clairement là dans un mode de pensée et de fonctionnement à l’opposé de celui d’un laboratoire de recherche.

Enfin, les chercheurs ont besoin de disposer de degrés de liberté pour explorer, y compris des pistes disruptives et/ou très hypothétiques. Outre la motivation des chercheurs qu’elles permettent, de telles démarches peuvent être à l’origine d’innovations en rupture mises sur le marché avec beaucoup d’avance par rapport aux concurrents. Cet espace de liberté doit toutefois être organisé.

La façon dont j’ai personnellement fonctionné a été d’organiser un challenge annuel où, à côté du programme officiel du laboratoire commun avec sa composante top-down forte, des projets pouvaient être proposés par les ingénieurs et les chercheurs du laboratoire commun. Mon engagement était, en tant que représentant du partenaire industriel, de financer les projets retenus par le comité stratégique, en plus du budget, donc pas en lieu et place de projets « officiels ». Les conditions que j’avais imposées pour qu’un projet soit éligible étaient :

  1. qu’il soit proposé par un duo constitué d’une personne issue de chaque partenaire qui défende le projet puis qui se propose d’en porter l’exécution ;
  2. qu’il soit très innovant, sachant qu’il n’était pas question que ce dispositif soit détourné pour recycler des projets qui n’auraient pas été retenus dans le programme officiel ;
  3. que les porteurs du projet s’engagent s’il était retenu à y consacrer 20 % de leur temps, soit une journée par semaine.

Le critère de succès était que le projet se montre prometteur et soit inclus dans le programme officiel de l’année suivante.

Je dois toutefois avouer avoir eu très peu de projets dans le cadre de ce challenge au cours des années, sans réussir à bien saisir pourquoi : des critères de sélection trop sévères, la crainte de l’échec de la part des porteurs potentiels de projet, un manque d’imagination de la part de Français plus rompus à la déduction qu’à l’induction, un manque de temps en raison d’une charge de travail déjà lourde, des dispositifs de motivation insuffisants ?

En conclusion …

Pour que tout ceci fonctionne harmonieusement, il est vital que les dirigeants des partenaires affirment clairement dans le discours et dans les actes l’importance stratégique réciproque du partenariat. Une participation de ces dirigeants au comité stratégique me semble un minimum. 

Philippe Bensussan
philippe.bensussan@loarwenn.ovh
LinkedIn :  www.linkedin.com/in/philippe-bensussan-1857a341

 


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