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Logiciels embarqués dans l'industrie automobile : comment gérer la complexité ?

16 décembre 2021 La lettre de XMP-Consult
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Les produits industriels complexes comme l’automobile sont en pleine transformation, le basculement du monde de la mécanique vers celui du logiciel connecté se fait à marche rapide. Le barycentre de la valeur du véhicule bascule du physique vers l’immatériel.

Le digital est entré dans le monde du produit depuis une dizaine d’années de par l’utilisation d’outils de recueil des données du produit véhicule et de gestion du cycle de vie produit (Product Lifecycle Management). La CAO et la maquette numérique en ont été les premiers apports tangibles, le reste a suivi afin de déployer la continuité numérique du cycle de vie du produit, véritable graal de l’accès au jumeau numérique.

Une seconde révolution est en train de se produire avec l’électrification de la propulsion et la fin annoncée des moteurs thermiques, le développement des assistances à la conduite, des services connectés et du véhicule autonome. Ces évolutions se traduisent par la montée en puissance des logiciels embarqués. Ces derniers se sont répandus dans les véhicules que nous utilisons. Nous en avons entendu parler lors des scandales du « Dieselgate » avec les logiciels conçus pour reconnaître les cycles d’essais réglementaire et pour réduire les rejets de gaz polluants   lors de ces essais. De nouveaux logiciels sont intégrés lors de l’apparition des nouveaux systèmes d’aide à la conduite  , ainsi que lors de l’introduction des multiples dispositifs de dépollution ou de sécurité exigés par les réglementations européennes ou par les essais consuméristes (Euro NCAP, AEB-VRU, SUMS).

Cette dynamique a des impacts très concrets sur le contenu logiciel des véhicules et les paramètres nécessaires à la gestion de la diversité. A titre d’exemple, ces cinq dernières années, le nombre de paramètres liés au fonctionnement et réglages a été multiplié par cinq et dépasse allègrement dix mille paramètres pour un seul véhicule. On parle d’un million de lignes de code par véhicule. Le taux d’erreur incompressible dans toute programmation peut donner lieu à des craintes sur la sécurité des véhicules. Ces risques doivent être levés avant toute commercialisation par des séries de tests et d’essais au niveau organique puis par sous-système puis enfin au niveau de la synthèse véhicule, chaque niveau de test correspondant à un niveau des spécifications préalables  – c’est l’objet de l’ « ingénierie système ».

Mais comment gérer cette complexité ?

Le périmètre des technologies utilisées dans un véhicule est de plus en plus vaste, ce qui nécessite des savoirs faire à toutes les étapes de la conception du véhicule et dans son cycle de vie car les véhicules évoluent après leur première mise sur le marché, et les logiciels également. De nouveaux risques apparaissent liés à la connectivité des produits et avec eux, les réponses associées, on pense notamment à la cyber sécurité.

D’autre part, une des caractéristiques de cette industrie est la gestion de la diversité des produits commercialisés, c’est ce qui en fait sa spécificité si on compare aux autres secteurs industriels avec des produits complexes comme les avions. C’est l’existence de millions de variantes possibles de ces produits qui rend la gestion de leur cycle de vie si complexe. Dès lors, la difficulté de l’architecte électricité-électronique est de suivre et gérer les évolutions de tous ces composants, de plus en plus virtuels, tout en maintenant la viabilité économique du produit développé et le fonctionnement cohérent de cet ensemble.

De fait, l’ingénierie a une tâche immense, celle de coordonner les organisations qui composent le produit fini, on pense aux « mécaniciens » qui assemblent les pièces organiques via la maquette numérique, aux « systémiers » qui décomposent le véhicule en systèmes fonctionnels répondant à des exigences du client, à l’ingénierie logicielle qui développe les logiciels embarqués dans des calculateurs eux-mêmes gérés dans une architecture électrique et électronique avec ses propres ruptures technologiques.

La mise en cohérence de ces éléments, systèmes et logiciels est une véritable gageure pour suivre les vagues des évolutions technologiques, de plus en plus courtes. Cela passe par la mise en place d’architectures qui doivent permettre à tous ces éléments de coexister avec chacun, leur propre cycle de vie.

La gestion de configuration, clé de l’accès à la continuité numérique ?

La gestion de configuration dans l’industrie est la mise en œuvre de concepts issus du monde du logiciel et adaptés à l’industrie par toute une série textes, dont la norme ISO 10007 pour leurs définitions, la norme ISO26262 pour la sécurité des logiciels embarqués, les normes de l’industrie automobile (A spice).

La gestion de configuration décline ces normes au produit automobile. Il faut retenir cinq concepts, l’identification qui recouvre la définition du produit et les éléments qui le composent, l’enregistrement des états de configuration est un figeage d’une structure produit à un jalon ou étape donné, la gestion du changement est la capacité d'identifier et de traiter les demandes d'évolution sur les éléments physiques et virtuels de la structure Produit et le suivi de la conformité qui permet de tracer la mise en œuvre de la définition amont du produit et des exigences systèmes.

La traduction de ces concepts dans les organisations passe par une révolution intellectuelle, car c’est bien un nouveau paradigme qu’il faut déployer, ce qui vient remettre en cause les démarches classiques de fonctionnement de l’entreprise, souvent silotées par métiers.

Historiquement, chaque discipline définissait ses méthodes et outils dans son organisation. A titre d’exemple, la logique a été de bâtir à partir des bases issues de la mécanique, d’étendre les outils du PLM aux systèmes et logiciels. La principale difficulté est survenue quand il s’est agi de faire coïncider les besoins des systèmes et logiciels dans des structures définies pour les contraintes de la mécanique… Les ingénieries système et logicielle ont alors dû trouver leurs propres moyens de répondre aux enjeux, au risque de constituer de nouveaux silos rendant complexe l’accostage au monde physique.

Parmi les solutions, on en est venu à limiter le nombre de « fenêtres » d’évolution chaque année à 2 ou 3, ce qui permet de s’harmoniser avec le versionnage des logiciels et de mutualiser les nombreux - et coûteux - essais de validation qui concourent à démontrer la fiabilité des fonctionnalités et la sécurité du produit. (C’était pratique courante depuis des décennies chez les fabricants d’ordinateurs ou de robots.)

Mais ce nouveau paradigme passe avant tout par la fédération des données structurantes du produit dans une couche d’architecture ad hoc. Cela ouvre de facto un nouveau monde d’opportunités pour définir le contenu, les outils, les process, les acteurs qui vont maintenir cet ensemble : un métier de la gestion de configuration est apparu dans les organisations. Les enjeux sont colossaux car le décloisonnement et la continuité numérique rendus possibles entre les métiers laissent apparaître des gains significatifs au sein de l’ingénierie Produit des grands constructeurs automobiles. 

Eric Coursin

 

 


Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°13 (janvier 2022) en .PDF



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