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Les IA vont-elles remplacer les métiers intellectuels ? 4 scénarios à horizon 20 ans
Le choc produit par ChatGPT
Le lancement de ChatGPT fin 2022 par OpenAI a été un choc pour de nombreux observateurs. Tout à coup, une IA est capable de produire des textes qui peuvent facilement être confondus avec des écrits humains sur à peu près n’importe quel sujet.
Les performances de ChatGPT sont assez nettement au-dessus de celles des versions précédentes d’IA génératives (Generative pre-trained transformer, GPT dans la suite de l’article) appliquées au langage naturel (Large Language Models, LLM dans la suite de l’article), et notamment de GPT-3 lancé à l’été 2020. Il est aussi plus facile d’interagir avec ChatGPT qui répond directement à des instructions et il est mieux aligné avec certains objectifs définis par OpenAI (notamment l’objectif d’éviter les propos choquants, racistes).
Enfin, ChatGPT a été lancé sur une interface gratuite, ouverte à tous, facile à utiliser. Le résultat a été une adoption sans précédent dans l’histoire avec 100 millions d'utilisateurs actifs au bout de seulement 2 mois (à titre de comparaison, TikTok a eu besoin de 9 mois, Spotify de 55 mois). Une rapide estimation dans un espace de coworking parisien m’a permis de constater qu’à tout instant, autour d’un écran sur 5 était ouvert sur l'interface de ChatGPT.
Les GPT les plus récents ont aussi atteint des résultats objectivables dans de nombreux domaines. GPT-4, dernière version lancée par OpenAI en mars atteint le top 10% dans les épreuves du barreau américain, aux tests standardisés SAT utilisés pour l'admission aux universités et de très bonnes performances dans le domaine de la santé et même en sommellerie.[CP1]
Hype et contre-hype
Les succès de cette nouvelle génération de LLM ont soulevé un fort enthousiasme et beaucoup d’optimisme sur les applications possibles, notamment dans les milieux VC et start-up. La vision la plus maximaliste consiste à imaginer que les LLM deviendront notre interface universelle avec toutes les informations dont nous avons besoin. Certains ont donc même prédit la fin de Google Search.
Cette « hype » a entraîné en réaction une « contre-hype » qui pointe les limites des LLM, les incertitudes sur nos capacités à les transformer en applications fiables et utiles et plus généralement un appel à modérer l’optimisme.
Cette opposition entre enthousiasme et pessimisme est relativement fréquente. On l'a observée aussi bien pour des technologies à faible impact (Web3), à fort impact (internet, le smartphone) ou à impact intermédiaire (le machine learning des années 2010).
Craintes et espoirs pour l’avenir des métiers intellectuels
Chaque fois qu'une technologie émergente semble pouvoir automatiser des tâches auparavant réservées au travail humain, elle suscite un mélange de craintes et d'espoirs.
Les craintes portent sur le risque de disparitions d’emplois non remplacés, et la difficulté pour ces travailleurs de conserver leur source de revenu. Les espoirs portent sur l’augmentation de la qualité du service, la réduction des coûts, l’automatisation d’activités peu intéressantes.
L’histoire économique depuis la 1ère révolution industrielle a toujours plutôt confirmé les espoirs et relativisé les craintes. Il faudrait probablement développer et nuancer mais globalement les gains de productivité énormes permis par les technologies n’ont pas provoqué de chômage de masse et les gains de revenus ont permis de développer de nouvelles activités (exemple : en France, la part de l’agriculture dans le PIB est passé de 18 % à 2 % du PIB [CP2] entre 1950 et 2015 tandis que les dépenses soins et biens médicaux sont passées de 2,5 % à 9 % du PIB).
Cependant, à chaque nouvelle vague d’innovation, certains imaginent que l’histoire pourrait être différente cette fois-ci. Et à chaque fois il y a de bonnes raisons de le penser. Dans notre cas, la différence est que le potentiel d’automatisation porte cette fois-ci sur toutes les tâches intellectuelles.
Un point crucial sera de voir si les GPT sont plutôt utilisés dans une logique de substitution ou dans une logique de complémentarité : la technologie va-t-elle remplacer le travail humain ou va-t-elle le compléter et le rendre plus productif ?
Une question connexe est celle de l’impact sur la demande pour les activités intellectuelles qui intègrent l’IA. L’automatisation a pour premier effet de réduire les coûts et les prix. Lorsque le prix d’un service diminue, on peut avoir envie d’en consommer davantage (en volume, on bien en qualité en développant de nouvelles fonctionnalités) mais on peut aussi préférer utiliser le revenu dégagé pour d’autres biens et services.
Chez Centolla, nous avons exploré différentes pistes d’automatisation pour nos travaux d’analyse et de prévision économiques et à ce stade nous voyons un peu les deux effets :
- Automatisation de la production de commentaires simples : pure substitution, gain de temps humain sur des tâches simples.
- Développement de fonctionnalités supplémentaires dans nos travaux que l’on n’aurait pas eu le temps ou pas eu les capacités de faire : un exemple récent étant l’utilisation de données de recherche Google pour enrichir notre compréhension de la conjoncture dans le secteur touristique.
Facteurs d'incertitudes
Face à un avenir incertain, il est utile d’identifier les facteurs susceptibles de nous conduire vers différents scénarios possibles. Pour anticiper l’impact des GPT sur les métiers intellectuels, j’en liste 4 principaux :
- L’évolution des capacités intellectuelles des IA ;
- La capacité à exploiter les IA pour développer des services utiles économiquement ;●
- Le degré de substituabilité avec le travail humain de ces services ;
- L'acceptabilité par les populations et les pouvoirs publics et le niveau de régulation qui en découle.
D’autres facteurs importants sont aussi par exemple : le degré de centralisation (oligopole autour des leaders ou écosystème plus décentralisé), le pricing des services d’IA (qui dépend du point précédent, de l’évolution des algorithmes de calculs, du coût de la puissance de calcul).
4 scénarios sur l'impact de l'IA sur le futur des métiers intellectuels à horizon 20 ans
- Scénario 1 : plafonnement des capacités intellectuelles de l’IA
Dans ce scénario, les futures générations de GPT sont un peu meilleures que les précédentes, mais sans avancées remarquables.
Malgré de nombreuses tentatives, on se rend compte qu’il reste difficile de produire des résultats suffisamment fiables pour la plupart des applications concrètes.
La réglementation encadre strictement l’utilisation de l’IA pour limiter les erreurs dans certains domaines sensibles (santé, droit, finance).
Finalement, les GPT révolutionnent certaines niches (publicité en ligne, médias) mais l’impact macroéconomique est faible, tout comme l’impact sur le marché du travail.
- Scénario 2 : essor des copilotes
Les capacités intellectuelles des GPT poursuivent leur progression incrémentale. Surtout, on réussit à développer un grand nombre d’applications économiquement utiles dans divers secteurs.
On reste cependant plutôt dans une logique de complémentarité que de substitution car les capacités de ces services sont bien moins générales que l’intelligence humaine.
Beaucoup de métiers intellectuels ont leur propre “copilote”, un service d’IA qui augmente fortement leur productivité :
- Les développeurs ne codent plus beaucoup. Ils réfléchissent plutôt aux fonctionnalités, puis testent et modifient à la marge le code généré par le copilote.
- Les chercheurs génèrent automatiquement les revues de littérature adapté à leur sujet.
- Les enseignants ne s’occupent plus que de la transmission, alors que le copilote prépare des contenus adaptés aux élèves et réalise les évaluations.
- Scénario 3 : des pilotes plus que des copilotes
Dans ce scénario, les capacités des IA sont déjà similaires ou supérieures à celles des humains.
Les copilotes sont devenus tellement performants qu’ils ont progressivement pris une place plus importante que les travailleurs humains. On considère désormais qu’il est très risqué de prendre une décision médicale sans la faire valider par une IA et vraiment incongru de réaliser une analyse juridique ou comptable autrement que par l’IA.
L’impact économique est fort mais ce n’est pas nécessairement un scénario de chômage de masse. On peut souhaiter pour répondre à des objectifs sociaux maintenir des métiers sans raisonner uniquement dans une logique de coûts. Certains métiers comme ceux de l’enseignement peuvent devenir bien plus valorisés et attirer des profils plus larges qu’aujourd’hui. Plus généralement, il est probable que dans cette nouvelle économie se développe une demande d’authenticité humaine, y compris pour la réalisation de tâches intellectuelles.
- Scénario 4 : face aux dangers des IA, la recherche est proscrite
De nombreuses voix s’élèvent déjà pour alerter sur les risques liés au développement de l’IA. Ces risques sont très divers : impact brutal sur le marché du travail et ses conséquences sociales, risque de manipulation, utilisation par des acteurs malveillants voire même, pour certains, risque existentiel pour l’humanité.
On peut donc imaginer que le développement de ces craintes conduisent à une forte réaction des pouvoirs publics pour ralentir ou arrêter la recherche sur les IA. Au vu des fortes incitations économiques à l'œuvre et de l’indispensable coordination internationale nécessaire, cela peut sembler très difficile mais pas forcément impossible.
Au sein des démocraties américaine et européennes, les opinions publiques, déjà souvent réceptives au pessimisme technologique, pourraient rapidement devenir sensibles à cette question. La Chine, qui privilégie la stabilité sociale sur les progrès économiques et technologiques, pourrait aussi rejoindre le mouvement.
Dans ce scénario, on pourrait ainsi imaginer que soit mis en place un strict encadrement de la production et de l’utilisation des GPU, rendant impossible l’entraînement de nouveaux GPT.
Conclusion et opinion personnelle
Anticiper l’impact à long terme des nouvelles technologies est notoirement difficile et notre sujet est particulièrement incertain. L’approche par scénarios est intéressante car décrire les possibles permet d’avoir un cadre pour suivre les événements et voir quelles hypothèses sont confirmées ou remises en cause.
Une bonne pratique dans ce type d’analyse prospective est de systématiquement donner des probabilités aux scénarios proposés. Cela peut sembler surprenant et un peu arbitraire mais c’est très utile : cela permet d’éviter l'ambiguïté du langage courant pour décrire l’incertitude et cela force à “se mouiller” et notamment à hiérarchiser les scénarios dans un ensemble cohérent.
Une difficulté supplémentaire dans notre courte analyse est que les scénarios ne sont pas vraiment exhaustifs. Mais pour faire l’exercice, imaginons ici que dans 20 ans nous décidions de quel scénario est le plus proche de la situation réelle. Voilà alors ce que je dirais aujourd’hui :
- Scénario 1 : 5 %
- Scénario 2 : 50 %
- Scénario 3 : 35 %
- Scénario 4 (et autres scénarios extrêmes qui se terminent bien ou mal) : 10 %
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