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Leadership dans l’incertitude … pour prévenir le chaos
Dans la saison 2 de Designated Survivor, le président des États-Unis interprété par Kiefer Sutherland est confronté à un différend commercial avec le Mexique, dont l’emploi est l’enjeu. Devant cette situation complexe, il explique que son rôle est « de gagner du temps pour apprendre à chacun à nager ». Cette réplique illustre bien, selon moi, une certaine responsabilité sociale d’un dirigeant tout en mettant en contrepartie le besoin d’adaptation de chacun face à un avenir incertain.
Avant d’aller plus loin, faisons-nous actuellement l’expérience de l’incertitude ou du chaos ? L’incertitude se caractérise par le fait d’être privé de visibilité sur les paramètres d’un système, tandis que le chaos peut se définir comme un état de confusion totale où les structures sont bouleversées. Consulté sur les périodes de chaos que l’humanité a traversées, ChatGPT propose la chute de Rome, la peste bubonique au XIVème siècle et les deux guerres mondiales du XXème siècle… Sans nous appesantir sur les biais derrière ces réponses, on peut avancer que les signes du chaos sont devant nos yeux mais qu’il n’est pas encore advenu.
Cet article exploite le postulat que nous vivons une période de forte incertitude, et que nous sommes cependant en mesure d’agir pour éviter le chaos. Passé le choc initial, le monde a d’ailleurs réussi à enrayer le Covid.
Dans ce contexte, les fondamentaux du leadership restent les mêmes : créer les conditions de l’engagement, de l’alignement et de la performance pour les équipes. L’instabilité permanente appelle cependant des réponses spécifiques, ainsi qu’un questionnement propre au leader.
Remettre en mouvement
L’incertitude génère de l’angoisse qui se manifeste au travers la paralysie, la fuite ou l’agression (« freeze, flight or fight »). Pour rappel, les mots « mouvement », « motivations » et « émotions » ont la même racine, movere en latin. La peur traduit le besoin de sécurité devenu prioritaire, qui guide des réponses différentes suivant les individus. Aussi, remettre les collaborateurs en mouvement passe par la reconnaissance de cette émotion afin de permettre à d’autres motivations plus utiles à l’organisation de reprendre le dessus.
Ceci passe par un temps d’écoute. A ce titre, un dirigeant du CAC 40 disait « un bon leader importe le stress et génère de l’enthousiasme ». La connexion émotionnelle peut aussi être renforcée par une expression maîtrisée de sa vulnérabilité. La transparence accroît en effet les liens humains, qui constituent la base de la collaboration et de l’engagement, et elle doit alors être accompagnée de l’expression d’émotions positives et de quelques repères pour servir son but.
La crise du Covid fournit de multiples exemples en la matière. Un des plus marquants reste le leadership de Jacinta Ardern, première ministre de Nouvelle Zélande, et de sa communication empathique, transparente et claire en termes de directives de santé publique.
Dans cette dynamique, il est important de rappeler qu’un dirigeant ne peut présenter un nouveau cap tant que la peur domine, car elle amène une rigidité de la pensée limitant la capacité à percevoir les options. Ceci ne peut venir que de façon ad hoc en fonction du calme retrouvé par l’audience.
Poursuivre plusieurs options
En l’absence d’une vision et d’un plan qui donnent la clarté tant appréciée pour fédérer les énergies, il est utile d’explorer plusieurs scénarios et de les poursuivre en parallèle. Même si certaines actions sont contradictoires, ceci permet d’être prêt à basculer vers le scénario qui se confirme à terme. Ceci permet aussi d’éviter le biais d’engagement, qui consiste à s’enferrer dans une direction finalement erronée car elle était la seule énoncée.
Cette approche a été largement utilisée par les entreprises lors de la crise du Covid. On peut citer cette entreprise du secteur du tourisme, dont le DG a animé son comité de direction dès le début en travaillant à la fois sur le maintien du confinement et sa levée partielle, avec une révision régulière des options. Ceci a aussi permis de maintenir l’organisation en dynamique, alors que le découragement touchait un nombre croissant de ses membres. Il faut toujours mettre du vent dans les voiles, quel que soit le cap pris, et rien n’est pire que le fameux pot au noir pour les marins …
On précisera que la méthode des scénarios nécessite de rappeler en amont la raison d’être de l’entreprise. Ceci est à distinguer du questionnement forcément long que nombre d’entreprises mènent aujourd’hui à son sujet, afin que celle-ci continue à servir de boussole aux parties prenantes. Pour les dirigeants, c’est un dilemme à gérer sur le sens qu’elle donne aujourd’hui et celui qu’ils donneront demain.
Valoriser l’apprentissage
L’adaptation à un environnement incertain passe enfin par la généralisation d’une approche expérimentale dans l’entreprise, à quelques fonctions près, et qui s’oppose par nature à la recherche de performance à court terme.
Il s’agit d’un nouveau dilemme pour les dirigeants, dans la mesure où la culture de la performance est structurante dans les organisations. Aussi, l’idée est ici de déplacer son focus vers les apprentissages.
Il vient à l’esprit les propos d’Elon Musk qui, à chaque revers de SpaceX, rappelle dans la presse que l’échec est ok dans la mesure où des leçons en sont tirées. De ce côté de l’atlantique, la Station F de Xavier Niel reprend le même motto : try, fail and learn.
Pour les leaders, ceci passe aussi par une clarification de l’espace d’expérimentation, ou la fameuse ligne de flottaison, afin de créer un cadre crédible pour les équipes : c’est ok de percer un trou dans la coque, tant que celui-ci est au-dessus de la ligne de flottaison du navire.
Un travail pour le leader d’abord
En fait, ce qui précède renvoie à la capacité du leader à donner un cadre et le tenir, ce qui reste l’essence de la fonction. Et plus l’incertitude est grande, plus le cadre se déplace vers les valeurs de l’organisation pour maintenir un collectif en risque.
Pour renforcer cette capacité, il peut se faire accompagner (club de pairs, coach, entourage personnel…) sachant qu’à la fin, les décisions lui reviennent. Aussi, comment peut-il s’aider lui-même ? Quelques pistes peuvent être évoquées.
En distinguant clairement ses motivations, ce qui le met en énergie, de ses valeurs, ce qui lui est important de réaliser comme leader. Pour ensuite chercher une cohérence personnelle à chacun de ces niveaux. Ou, comme le disait une dirigeante : « Chaque CEO doit être sur ses moteurs et renoncer au reste, sinon il y a épuisement et ennui. Il faut aussi comprendre, dans une période de transformation accélérée, ce qui est nécessaire à l’entreprise et être sûr qu’on est en phase ».
En se disant aussi que diriger est un job et qu’il est lui-même humain. On peut citer Marc Aurèle : « Tu as pouvoir sur ton esprit et non sur les événements extérieurs. Réalise cela et tu trouveras la force ». C’est là une forme de lâcher prise, généralement éloigné du fonctionnement d’un leader, et qui peut venir compenser le surengagement latent du point précédent.
Dans un registre plus académique, c’est aussi avoir une approche situationnelle du leadership. La publication de Daniel Goleman sur les 6 styles de leadership est toujours d’actualité pour cela, en distinguant les styles qui ont un effet à court terme (affectif, directif …) de ceux à long terme (clarifiant, participatif …). Le leadership dans l’incertitude nécessite souvent les premiers et offre aussi des opportunités d’exercer les seconds, ceci justement afin de prévenir le chaos.
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