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Et si créativité et culture d'innovation ne suffisaient pas pour innover dans la durée et à grande échelle ?
L'innovation s'est imposée ces dernières années comme un enjeu majeur pour le dirigeant. Et des mots d'ordre sont régulièrement lancés à son sujet, parfois radieux ('faire naître l'envie de créer'), parfois anxiogènes (survivre lorsque 'les barbares attaquent'), souvent volontaristes ('oser l'innovation'). Mais il faut constater qu'innover dans la durée et à large échelle n'est jamais facile.
L'innovation se réduit même dans certaines entreprises à des actions de communication ('le 'selfie' avec le fondateur de start-up que l'on héberge') ou à des projets éphémères (suite au dernier séminaire à la mode sur 'comment innover différemment'). Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le terme 'innovation' puisse parfois créer cynisme ('un impératif de direction générale, parmi d'autres impératifs...') ou frustrations ('après la preuve de concept, rien de bien significatif...')
Alors comment réussir l'innovation ?
La tentation est de rechercher la démarche miracle. Mais si elle existait, cela se saurait ! En fait, l'expérience montre qu'il y a plusieurs facteurs clés de succès dans l'innovation. Essayons de les parcourir ensemble.
« C'est en tombant qu'on apprend à marcher » (ou la culture d'innovation)
Souvent l'entreprise commence à innover quand elle fait face à la disparition de certains de ses marchés traditionnels ou à l'arrivée de nouveaux concurrents agressifs. Le challenge qu'elle rencontre alors régulièrement ? 'Il n'y a pas de culture d'innovation en interne, pas de prise de risques'.
La solution passe par des 'workshops', voire du coaching d'équipe, pour favoriser une 'posture d'innovateur' et le soutien à des initiatives de collaborateurs. L'objectif est de 'transformer' les comportements en interne.
Mais reconnaissons que le changement de croyances et de comportements est souvent long et incertain, avec des phases de résistances et de démotivation. Pour réussir, il faut 'sponsors' et 'avocats au quotidien ' de l'innovation, et agir à la fois de façon participative et (pour partie) de façon directive, dans la durée et à grande échelle. Ce qui n'est pas toujours compatible avec les cycles de renouvellement des équipes de direction.
« Le marteau ne connaît que des problèmes de clou » (ou l'idéation)
Toute entreprise qui innove réalise très vite que le passage de l'idée à la réussite commerciale est très incertain. Il faut donc alimenter en amont le 'pipeline' d'innovation, pour espérer réussir en aval. Trouver la bonne idée devient un objectif majeur pour l'entreprise. L'impératif est alors d''être créatif', de 'sortir du cadre'.
La bonne nouvelle est qu'il existe au moins une cinquantaine de méthodes de créativité, donc que le séminaire off site de brainstorming va générer un certain nombre d'idées. La moins bonne nouvelle est que les résultats d'après séminaire sont souvent mitigés.
« Nul n'a jamais joué à lui tout seul une symphonie » (ou les processus transverses d'innovation)
L'entreprise innovante fait face à deux freins classiques.
Tout d'abord les silos internes : les unités dans l'entreprise uniquement centrées sur leurs zones de responsabilités et de pouvoir, au détriment des autres unités. Or, pour être déployée, l'innovation doit impliquer de nombreuses fonctions de l'entreprise. Puis le ''Non Invented Here' (la décision de maîtriser en interne tous les développements), qui limite les possibilités d'exploration de nouveaux concepts.
La solution est de décloisonner l'innovation, par des projets transversaux en interne et par l'appel à l'extérieur, en 'Open Innovation', avec des start-ups et des académiques. Le challenge est qu'un Hackathon (un week-end dédié à l'émergence rapide de solutions à un problème posé à des équipes extérieures à l'entreprise) ou un 'Open Lab' (une installation de tests utilisateurs) - pour ne citer que deux méthodes- ne débouchent pas toujours sur un déploiement industriel significatif.
D'autres facteurs, décrits ci-après, sont à prendre en compte pour réussir l'innovation.
« Il n'y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas dans quel port se rendre » (ou la stratégie d'innovation)
Aujourd'hui, dans certaines entreprises, la direction générale dit vouloir innover et chaque département ou fonction mène des actions d'innovation. Mais ces actions contribuent-elles réellement à la stratégie d'entreprise ? Ainsi ce fabricant de produits grand public pour le nettoyage de la maison, qui lance un projet d'observation des usages, débouchant sur le design de nouveaux instruments de lavage des sols. Le seul hic ? L'offre sera copiable dans les six mois par les fabricants asiatiques auxquels la production est sous-traitée...
En termes stratégiques, où est l'avantage compétitif dans la durée ?
L'expérience prouve que l'alignement stratégique, un challenge classique en management, n'est pas toujours réalisé dans le cas de l'innovation. Or sans mise en cohérence et sans direction claire, les projets innovants ne peuvent pas se déployer de façon significative.
« Le diable est dans les détails » (ou l'adaptation des processus managériaux classiques)
Les processus classiques de management de l'entreprise sont définis et optimisés pour des activités maîtrisées et des marchés relativement prévisibles. Ils deviennent souvent des points bloquants lorsqu'il faut passer de la phase d'exploration du potentiel de l'innovation à la phase de déploiement à grande échelle.
Citons quelques-uns de ces processus et les challenges qu'ils créent pour l'innovation
- La planification budgétaire :
La définition d'objectifs précis et relativement certains (de type ROI) n'est possible que pour des marchés déjà établis. L'investissement dans un portefeuille de projets, sans certitude de réussite par projet, n'est justifiable que pour un Capital Risqueur (se couvrant par la diversification des risques).
Mais quel processus pour le déploiement de l'innovation ? Notons que des processus spécifiques existent (du type Discovery Driven Planning) mais sont encore peu connus et déployés en France
- Les processus RH :
Quelle place donner dans une carrière, notamment d'un 'haut potentiel', à un projet d'innovation radicale, à hauts risques d'échec ? Mieux vaut un projet d'innovation incrémentale !
Mais alors où est la culture de la prise de risques ?
- Le reporting par entité :
Comment justifier une nouvelle offre, quand elle ne va représenter qu'une fraction des résultats de la BU ?
- Les processus Achats :
Quels processus pour gérer des start-ups, avec l'incertitude des volumes initiaux et l'enjeu du partage des futurs profits ?
L'innovation se heurte bien à des barrières moins visibles que la frilosité des acteurs ou le manque d'idées, mais tout aussi influentes, et qu'il faut savoir lever.
Les facteurs clés de succès pour innover
En conclusion, chaque entreprise fait face à des challenges d'innovation spécifiques.
Le dirigeant et son équipe doivent donc prendre le recul nécessaire pour repérer où en est leur entreprise, pour repenser leur action et pour se focaliser sur les facteurs clés de succès encore imparfaitement mis en place.
Philippe Ginier-Gillet
https://www.linkedin.com/in/philippe-ginier-gillet-67bb5/
Consulter les autres articles parus dans la Lettre XMP-CONSULT n°2 (janvier 2019)
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