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Energie & Environnement : faites vos jeux…

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La ruée vers l’or

Les chiffres qui circulent sur les montants à allouer à l’énergie et à l’environnement sont faramineux – l’unité n’est ni le million ni même le milliard, mais bien la centaine voire le millier de milliards. Ces travaux herculéens qui feraient passer le plan Marshal pour un simple rafraichissement trouvent leurs origines dans la combinaison de facteurs structurels et conjoncturels.

Conjoncturellement, des taux d’intérêt historiquement faibles et une crise pandémique qui remet au goût du jour les solutions keynésiennes – si tant est qu’elles soient un jour passées de mode. Structurellement, la dépréciation des infrastructures existantes, qui finit par grever la performance des activités économiques qu’elles sous-tendent, et bien sûr, l’inénarrable urgence climatique.

De telles mesures impliquent des transferts de valeurs colossaux, à l’instar des mobilisations en temps de guerre. Ça tombe bien, une certaine éthique de la responsabilité (celle de Jonas, figure emblématique de l’écologie politique) justifie les mesures drastiques, y compris le recours à violence.

Des impératifs économiques et surtout moraux de premier ordre: l’heure est donc grave ; mais elle est aussi à la fête pour ceux qui font partie de la solution. Quel meilleur biotope pour l’ingénieur généraliste, formé pour tisser des liens, faire des synthèses et éclairer des choix qui impliquent de savoir amalgamer des dimensions techniques, économiques et institutionnelles ?

Clivages malaisants

Ces fantastiques investissements se feront nécessairement au détriment d’autres priorités – les fameux coûts d’opportunités. Cela soulève des interrogations légitimes, et pas seulement sur le plan économique. L’idée d’un dirigisme mondialisé peut en effet faire un peu froid dans le dos, quand bien même l’atmosphère se réchauffe.

Face à ces propositions inédites, les postures de prudence n’ont pas toujours l’heur de plaire à ceux qui n’hésitent pourtant pas à brandir le principe de précaution pour clore d’autres débats environnementaux. Réjouissons-nous au passage de pouvoir nous vacciner contre la covid-19, la question ayant par chance échappé aux oukases des tenants zélés de cette éthique versatile.

Concédons tout de même, puisque la pandémie le démontre, que nous savons consentir à un large empiétement sur les libertés dès lors que l’enjeu sous-jacent est perçu comme vital. Le débat est donc au moins autant technique qu’éthique puisque pour savoir si l’essentiel est en jeu, il s’agit en fin de compte de mesurer des risques. Considérons deux évaluations opposées sur le très clivant risque climatique:

  • l’urgence climatique est indéniable, et faute d’une action immédiate, un futur proche apocalyptique nous est collectivement réservé. Il faut urgemment sortir du déni et agir, de sorte que des mesures radicales de réallocation du capital et du travail sont justifiées.
  • le risque climatique est largement surévalué tandis qu’une communication basée sur la peur est entretenue par une alliance baroque entre des intérêts économiques bien sentis et un amalgame de malthusianisme rafistolé et d’une déconcertante sotériologie de l’ici-bas.

Un tel écart de vues a de quoi laisser perplexe. Il n’est pas le seul: nucléaire, éolien, solaire, mobilité électrique, grands barrages, OGM, pesticides, fracturation hydraulique… autant de controverses qui fragmentent la société, experts compris – ce statut étant du reste parfois sujet à caution.

Il n’est en réalité pas moins délicat de se prévaloir du monopole de la raison et de l’honnêteté intellectuelle que de celui du cœur. Pourtant, les méthodes de disqualification éhontées ont libre cours (que l’on songe au vocable de négationnisme climatique). 

L’ampleur des enjeux énergétiques et environnementaux laissent peu de place à la nuance. Les clivages irréductibles qui en résultent insinuent parfois un malaise, plus rarement une sidération. Certains ne s’en accommoderont qu’au travers de positions à jamais figées.  

L’ingénieur déclassé

Qu’est-ce qui cloche au juste? Que ces questions soient politisées et par là même souvent hors du champ technique, voire simplement rationnel, est troublant pour qui se revendique de culture scientifique. C’est vrai, mais on aurait tort de clore l’introspection ici.

Le niveau particulièrement anxiogène des enjeux pèse également mais pas seulement. D’autres risques majeurs existent en effet, qui ne suscitent pas autant d’émoi : tensions géopolitiques, urgences humanitaires, mutations anthropologiques induites par l’intelligence artificielle, impact d’un inéluctable rebond des taux d’intérêts sur les services de la dette de nombreux pays, etc.

Une hypothèse alternative permet d’appréhender ce psychodrame lancinant : celle de la renégociation identitaire. Face à la complexité croissante et au caractère collectif de la menace, l’ingénieur est en réalité souvent dépassé, impuissant et donc dépossédé de son statut de sachant et de la rente sociale et symbolique qui va avec. L’ingénieur déclassé, à l’instar du hussard de la République jadis figure d’autorité incontestée… Tout fout le camp décidément !

Enfin pas tout à fait : coquette asymétrie, les alarmistes sont souvent positionnés pour capter une part des flux induits par les mesures pour lesquelles ils militent. Ils n’ont pas tort sur le fond pour autant, naturellement. Et ils ne sont pas insincères pour autant, assurément.

La Nature, pour unanimement plébiscitée qu’elle soit, a horreur du vide et ainsi, la figure du communicant s’affirme à mesure que celle de l’ingénieur s’efface. D’un univers à l’autre, les géodésiques du savoir évoluent: elles prennent aujourd’hui plus volontiers la forme d’anathèmes et d’ostracisations que celles de raisonnements bien carrés ou de doutes hyperboliques.

Le sursaut

Les problèmes sont indéniablement complexes mais les ingénieurs doivent peut-être aussi faire leur aggiornamento. Le temps où un diplôme leur garantissait à vie une position offrant le loisir de pontifier divers pathos vulgarisés avec l’autorité d’une homélie est bien révolu, et c’est tant mieux.

Cette position confortable (embourgeoisement ?) a malmené l’éthos originel de l’ingénieur, celui forgé par un mélange atypique et fécond de rigueur, d’ouverture d’esprit et d’humilité: regarder les faits, bousculer les théories, questionner les relations de causalité, concilier la justesse des raisonnements à une éthique de l’action, et garder à l’esprit que la radicalité peut aussi s’incarner dans des positions nuancées.

Cette culture a aussi ses tabous et commande de ne pas ériger la peur au rang d’argument et de ne pas troquer la rigueur pour l’autoritarisme. Empreinte de bon sens, elle est à l’abri des modes et réfute le recours aux soft skills comme seul remède à l’obsolescence. Pour affronter un peu plus sereinement la complexité d’un monde en mouvement, elle invite plutôt à affiner ses connaissances et investir le champ de l’épistémologie afin de faire un usage pertinent de la technique[1].

L’identité d’XMP-Consult gravite également autour du « consultant indépendant ». L’indépendance ne se limite pas à un statut administratif : soumis à la pression du client, la liberté de ton du consultant ne va pas de soi. Il y a un prix à payer pour fournir (et recevoir) du conseil authentique.

Les questions énergétiques et environnementales sont par excellence le lieu où l’ingénieur conseil a vocation à mener cette quête exigeante qui l’honore. D’aucuns y voient même un devoir citoyen. Il est toujours possible de s’y soustraire, mais il faut alors se résigner à une forme de déclassement.

Et nous dans tout ça ?

XMP-Consult n’est pas le lieu des corsets idéologiques échancrés, du mandarinat, des prescriptions, du lobbying ou encore des improbables synthèses. À l’instar d’autres activités de l’association, la Lettre offre un espace de liberté afin de favoriser la réflexion, le doute, le lâcher prise. Même l’espace d’un instant, c’est une victoire.

Ce numéro s’ouvre sur une synthèse limpide sur l’avenir de la voiture électrique (Arcles), suivie par une présentation affutée des applications de la blockchain dans le domaine de l’énergie (Florie Mazzorana). Leur succèdent une opinion d’expert (Pascal Lancelot) sur les normes dans le bâtiment intelligent, un état des lieux sur l’intégration des actifs naturels dans le bilan comptable des entreprises (Stéphane Bellanger), une réflexion sur le financement des projets d’énergie dans les pays en développement (Marc Henry Lebrun), un plaidoyer contre le nucléaire (Raoul de Saint Venant), suivi d’une présentation du concept de transition écologique et une réflexion sur le rôle que peut y jouer le consultant (Clément Trigona et Frédéric Ménard, président d’Agir pour le climat). Ce numéro est clos par un entretien singulier avec Benoit Rittaud, mathématicien et président fondateur de l’association des climatoréalistes.

En complément, nous organisons ce mercredi 30 juin une conférence exceptionnelle de Dominique Louis et Jean Louis Ricaud[2] qui accompagne la sortie de leur ouvrage intitulé « Energie Nucléaire, le vrai risque ».  Il est encore temps de vous inscrire et nous vous enjoignons de saisir cette belle opportunité de réfléchir à ce sujet crucial.

Gageons que cette offre riche bénéficie à votre pratique et vous encourage toujours davantage à élaborer et partager vos réflexions avec vos pairs.

Guillaume Dulac

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[1] Cf. par exemple « Postures analytiques en temps de crise », Lettre XMP-Consult N°7, Avril 2020, pour une critique de l’usage des statistiques en matière d’aide à la décision.  https://www.xmp-consult.org/global/gene/link.php?doc_id=38

[2] Pour s’inscrire : https://www.xmp-consult.org/agenda/energie-nucleaire-le-vrai-risque-10509 ; Pour plus d’informations : http://electricitedufutur.fr/

 


Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°12 (juillet 2021) en .PDF



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