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Coronavirus - un roman d'apprentissage ?

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1. Le choc

Il y a un an, je partais m’installer avec ma famille dans le sud de la France. Je ne savais pas, comme beaucoup, ce qui nous attendait durant cette période totalement inédite, mais nous pressentions que la vie serait plus agréable « au vert » que dans un appartement parisien.

J’aimerais témoigner, douze mois plus tard, de l’expérience vécue par un consultant, associé d’une « boutique de conseil » spécialisée dans les enjeux de création de valeur et de transformation des entreprises.

A l’annonce du confinement, nous nous sommes tous sentis ébranlés par ce qui nous arrivait, à la fois comme individu - citoyen et comme professionnel, acteur économique responsable. Un état de sidération a frappé même les plus solides : je pense en particulier à cet entrepreneur, propriétaire d’une grosse ETI (qu’il a créée et dont il est la figure tutélaire), exprimant être « rentré en terre inconnue » et « naviguer à vue avec chaque jour des nouvelles souvent anxiogènes et pas beaucoup d’optimisme ».

2. Renouer des liens

Le consultant que j’étais eut soudain beaucoup de temps libre… vite employé à chercher à comprendre ce qu’il se passait, à identifier les signaux faibles de sortie de crise….

Nous avions besoin d’échanger. C’est ainsi, qu’une partie de mon temps « libre » fut mis à profit pour me rapprocher (virtuellement) d’amis, de clients et de partenaires, certains proches d’autres beaucoup moins – et, dans ce dernier cas, la prise de contact au cours de cette étrange période fut étonnamment plus facile « qu’avant ».

Les discussions furent très riches, tant au plan humain que professionnel. Bien sûr les problématiques étaient différentes selon les secteurs économiques (Quoi de commun entre la restauration et l’aéronautique d’une part et le BTP ou le secteur des logiciels d’autre part ?), mais pour tous les dirigeants les mesures de sauvegarde de leur entreprise et de leurs collaborateurs étaient la priorité absolue. Tous étaient très préoccupés par le désir de comprendre en quoi la crise allait rebattre les cartes : que leur fallait-il apprendre de la situation alors que l’incertain était plus que jamais présent ?

3. Pivoter

Nous fûmes naturellement amenés à modifier les missions en cours.

Elles changèrent d’objectif : par exemple une intervention dont l’objectif était d’accompagner une équipe commerciale B2B à pénétrer un nouveau marché fut suspendue et nous avons aidé les équipes à imaginer le marché post Covid et à préparer « le coup d’après ».

De nouvelles modalités de travail furent rapidement testées et adoptées. Illustration : pas question de « laisser tomber » le DG d’une grosse PME de services. Avant la crise, il avait eu l’intuition que l’environnement réglementaire de son secteur allait se durcir et qu’il allait perdre très vite sa « vache à lait » ; il avait donc lancé un projet de transformation auquel il comptait associer les collaborateurs. Mais à cause du confinement nous ne pouvions plus animer les ateliers collaboratifs déjà planifiés en mars et avril pour définir le contenu détaillé de la stratégie, ainsi que son exécution. Aussi, comme beaucoup d’autres professionnels, nous vécurent le Coronavirus comme un véritable levier pour digitaliser notre pratique et celle de nos clients : des ateliers, dans un format nécessairement différent, furent organisés à distance ; ils furent bien plus productifs que nous l’anticipions et permirent la réussite à l’été du séminaire réunissant les acteurs du changement.

Le confinement fut aussi paradoxalement l’occasion de redynamiser la relation avec nos clients et partenaires situés en province : au lieu de planifier longtemps à l’avance de longues réunions justifiant un déplacement, nous pouvions organiser des ateliers de travail à distance, plus courts et plus fréquents.

4. Appareiller pour un nouveau monde

A la sortie du premier confinement, les entreprises commencèrent progressivement à retrouver une vie « normalisée » : ce n’était évidemment pas le retour à l’état antérieur, ni même un retour à un état stationnaire, mais l’entreprise était sauvée et on pouvait (devait) envisager l’avenir.

Dans certains cas, il était radieux et pas très différent de celui envisagé avant la crise. Je pense à cet éditeur d’ERP vertical qui ne s’est pour ainsi dire pas rendu compte de la crise : ses collaborateurs étaient habitués à télétravailler et la technologie SaaS utilisée permettait aux clients utilisateurs de poursuivre leur activité sans difficulté, même de chez eux. Avantage décisif par rapport aux logiciels concurrents en mode client – serveur qui lui permit de gagner des parts de marché.

Mais la plupart des entreprises étaient déstabilisées et leurs dirigeants l’étaient tout autant. Intuitivement, beaucoup sentaient que le rebond serait difficile et chaotique :

  • Les vaccins ouvrent un espoir, mais quand sera-t-il effectif ?
  • Pour quel monde demain ? Les changements d’habitude des consommateurs ou des collaborateurs sont-ils durables ?
  • Faut-il innover pour rebondir ? Si oui, comment faire ?
  • Comment intégrer les opportunités et mesurer les risques du foisonnement technologique ?

Le consultant peut alors être celui qui éclaire le dirigeant et ses équipes, facilite la prise de décision. Il est parfois également le passeur qui forme les collaborateurs.

Par exemple, dans telle société industrielle, fournisseur de la restauration hors foyer (secteur particulièrement impacté par la crise sanitaire s’il en est), filiale d’un grand groupe, le DG a éprouvé le besoin de faire accompagner son équipe de direction dans le processus de réflexion stratégique. Pourtant, son Codir était très à l’aise avec l’exercice de planification habituel, mais fin 2020 ce dirigeant eut l’intuition qu’il fallait adopter une méthode de réflexion différente, plus agile et plus entrepreneuriale, afin d’éviter un énième plan et plutôt esquisser des chemins possibles. Et pour cela, outiller les membres du Codir pour qu’ils comprennent ensemble, sachent agir ensemble et élaborent des critères de performance pas que financiers.

Pour beaucoup d’équipes de direction, ce fut l’occasion de fortes remises en question :

  • Parfois de manière aisée : tel ce DG d’une enseigne de distribution, plutôt adepte de méthodes traditionnelles pour gérer ses équipes ou pour animer son réseau de concessionnaires, qui a pris sans difficulté le virage du numérique et a adopté des méthodes nouvelles et modernes (télétravail, webinaires professionnels d’animation de responsables de magasins, communication privilégiant le digital, etc.).
  • Parfois dans la douleur, comme pour ce manager d’une entreprise du numérique que la « dureté des temps » oblige à reconcevoir la façon dont son entreprise s’organise avec ses partenaires extérieurs pour fournir les services aux clients.

Le consultant n’échappe pas à la règle : le « recrutement » de nouveaux clients, basé souvent sur le relationnel et l’échange, est fortement impacté par la crise sanitaire. Comment faire quand on ne peut pas créer facilement une relation de qualité ? Des remises en question s’imposent…

5. Que retenir ?

La période de transition n’est pas encore achevée et le « monde d’après » vers lequel nous allons est encore flou. Il est cependant possible de tirer quelques enseignements des derniers mois.

Une crise accélère l’émergence de tendances préexistantes (ex. : servicisation et digitalisation de l’économie, débureaucratisation des organisations et nouveau rapport au travail, enjeu climatique…) ; celui qui ne s’est pas préparé ne peut en saisir les opportunités.

Il est bon de revisiter ses fondamentaux stratégiques à la lumière d’événements majeurs :

  • Réexaminer la pertinence des choix faits par le passé. Exemple : comment s'effectue la sélection des fournisseurs / contributeurs clés à ma chaîne de valeur ? Qui sont-ils ? Quid de l'alternative make or buy ? Un crash-test du business model a-t-il été fait ?...
  • Préciser la perspective temporelle pertinente : comment les prises de décisions intègrent-elles la durée et la pérennité des acteurs ? Quels partenariats et engagements réciproques avec les diverses parties prenantes ?...
  • S’interroger sur ses biais cognitifs.
  • Ne pas transiger sur l’exemplarité (walk the talk disent les Anglo-Saxons).

Enfin, l’expérience de ces derniers mois nous a convaincu que face à un environnement durablement incertain le dirigeant doit passer à l’action. Ce qui implique, le plus souvent, qu’il change ses méthodes et adopte une démarche intuitive et entrepreneuriale qui mobilise l’intelligence collective.
En effet, les méthodes traditionnelles (ex. évaluation de la situation - synthèse stratégique - objectifs - plan d’actions - mise en œuvre) ont montré leurs limites dans un contexte durablement volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA).

Pour rebondir et « passer de la crise à l’action », le dirigeant doit avant toute chose créer les conditions (psychologie et organisation) pour agir, ce qui passe d’abord par l’alignement de ses propres émotions avec son raisonnement. Il doit accepter de « lâcher prise » et questionner ses représentations mentales. Ce n’est qu’ensuite qu’il peut « reprendre la main » : transformer les défis (négatifs) en projets (positifs), créer les conditions pour donner envie à ses équipes, redéfinir le business model de l’entreprise.

Le « monde d’après » s’invente chaque jour et tous les dirigeants sont confrontés au défi de l’introduction de plus d’agilité dans leur organisation. Pour le dirigeant d’une entreprise « traditionnelle », abandonner son ancien paradigme managérial pour mailler psychologie et entrepreneuriat ne va pas nécessairement de soi.

Pierre-Yves Le Daëron [ Linkedin ]

 


Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°11 (avril 2021) en .PDF



1 Commentaire

Philippe OZIARD (X 1963)
Il y a 2 ans
(suite) quand tu écris : 'outiller les membres du Codir pour qu'ils comprennent ensemble, sachent agir ensemble' .
Enfin je partage complètement ton analyse le dirigeant doit accepter de lâcher prise et questionner ses représentations mentales: une question étant : comment partagéer ses représentations mentales?
Philippe Oziard.

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