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Le défi du financement de projets d'énergie dans les pays en voie de développement
L’objet de cet article est d’aborder le rôle des gouvernements des pays en voie de développement (« PVDs ») dans la réalisation de projets d’infrastructures dans l’énergie, en partenariat avec le secteur privé. Je souhaite en particulier évoquer les difficultés posées par les risques qui sont du ressort des gouvernements et qui ne peuvent pas être transférés au secteur privé.
Les exemples de projets d’infrastructures financés et développés par des investisseurs privés abondent : champs d’éoliennes en mer ou sur terre, champs de panneaux photovoltaïques, autoroutes à péages, aéroports et ports, centrales électriques thermiques, réseaux de fibres optiques, bâtiments publics (hôpitaux, écoles, prisons), etc. Pour la seule année 2020 il y a eu environ 600 projets d’infrastructures dans le monde sur ce modèle, pour un coût total de construction estimé à environ 300 milliards de dollars. Beaucoup de projets sont dans le secteur de l’énergie.
Les besoins en infrastructures dans l’énergie des PVDs sont colossaux, et les contraintes budgétaires de ces Etats freinent les financements publics classiques pour les grands projets. Le financement et le développement de projets par le secteur privé font partie des solutions pour accélérer les réalisations de projets. Certains pays ont su bénéficier de ce modèle comme le Laos (barrage hydroélectrique de Nam Theun 2), le Cameroun avec celui de Nachtigal, le Mozambique avec le projet de liquéfaction de gaz naturel Coral LNG ou encore le Vietnam avec la raffinerie de Nghi Son. Cependant la plupart des financements de projets se trouvent dans les pays développés (UE, UK, Amérique du nord).
Ce déséquilibre significatif en défaveur des PVDs s’expliquent, de mon point de vue, en grande partie par une mauvaise gestion de la répartition des risques entre les gouvernements et les partenaires privés.
Prenons comme exemples quelques risques typiques pour des projets d’énergie :
- Risque de paiement des entités publiques dénommé le risque de contrepartie
- Expropriation, guerre, émeutes, etc. souvent dénommés les risques politiques
- L’arbitrage
- Risques de change et de transfert en dehors du pays
- Risques de curtailment pour les projets d’énergies renouvelables
1. Risque de paiement des entités publiques
Certains projets d’énergie sont rémunérés par une entité publique d’un PVD. C’est le cas par exemple des centrales électriques qui presque toujours vendent l’électricité produite à la société nationale d’électricité.
Le risque de paiement par cette société est un élément très important dans l’analyse du projet, notamment en raison de la longue durée des contrats (20-25 ans pour des centrales électriques). Les investisseurs et leurs banques tiennent compte de la note de crédit de cette société, qui est par nature égale ou inférieure à la note de crédit du risque souverain du pays.
Dans de nombreux PVDs cette note de crédit est de mauvaise qualité, et le risque doit être réhaussé. La solution consiste à demander au ministère des finances de donner une garantie de paiement, ce qui représente un engagement fort du gouvernement vis-à-vis du projet. Il existe ensuite des produits d’assurances, comme l’Extented Political Risk Guarantee de la Banque Asiatique de Développement, qui permettent de couvrir le risque de paiement du gouvernement.
Si le gouvernement ne s’engage pas à garantir le risque de paiement d’une entité publique dont il a le contrôle et dont la note de crédit est jugée trop faible, le projet aura peu de chance de pouvoir se réaliser.
Cas concret : L’Indonésie a depuis le milieu des années 90 réalisé de nombreux projets de centrales électriques indépendantes et privées (« IPPs »). Le gouvernement apportait sa garantie de paiement à la société publique d’électricité PLN, ce qui était la bonne solution pour couvrir le risque. Il est intéressant de noter qu’en 2015 environ, le gouvernement a décidé de ne plus apporter cette garantie pour les nouveaux IPPs. Les partenaires privés et les financiers ont cependant accepté cette évolution grâce à un historique sans défaut de paiement de PLN pendant 20 ans, et à une amélioration substantielle de la note de crédit souverain.
2. Risques politiques
Les risques politiques comprennent entre autres l’expropriation, le terrorisme, les coups d’Etat, les émeutes et les décisions unilatérales de l’Etat de non-respect d’obligations contractuelles.
Ces risques sont hors de contrôle des partenaires privés, et le gouvernement est le mieux à même de les supporter. En cas d’impact irrémédiable sur le projet (comme des destructions dues à des émeutes) les contrats de projet donnent le droit aux partenaires privés de les terminer par anticipation. Dans ce cas le gouvernement est redevable d’une pénalité couvrant le montant de la dette restant due, et assurant une rentabilité du capital fixée contractuellement. Si les contrats du projet ne prévoient pas une telle clause de terminaison, ou si le montant de l’indemnité est insuffisant, il est fort probable que les partenaires privés jugeront le projet comme étant trop risqué.
Des entités multilatérales, comme les agences de crédit export, peuvent offrir des garanties contre les risques politiques, mais leur participation est sujette à des critères de sélection qui ne rendent pas tous les projets éligibles (par exemple leurs critères stricts d’impact environnemental et social, ou leurs critères sur les équipements ou les investisseurs de leur pays dans le projet).
3. L’arbitrage
Pour tout projet un ou plusieurs contrats sont passés entre les partenaires privés (ou la société de projet, qu’ils détiennent) et le gouvernement ou l’une de ses entités publiques. Souvent, le régime juridique applicable à ce ou ces contrats, sont celui du pays dans lequel le projet est réalisé.
Dans de nombreux PVDs, les partenaires privés internationaux n’acceptent pas le risque juridique local dans le cas où des différents contractuels seraient portés devant les tribunaux sur place. Ils requièrent la possibilité de recourir à un régime d’arbitrage international pour les litiges qui ne peuvent être résolus à l’amiable. Les cours d’arbitrage international comme Londres ou Singapour sont généralement choisies. L’absence de clause d’arbitrage international est un manquement majeur, qui peut rendre la réalisation d’un projet impossible dans de nombreux PVDs.
Cas concret : il y a quelques années le gouvernement du Vietnam n’a pas inséré de clause d’arbitrage international dans le contrat type pour les projets d’énergie solaire photovoltaïque. Ceci a beaucoup ralenti la réalisation de nouveaux projets par des partenaires privés non vietnamiens, à l’exception de quelques investisseurs « voisins » comme des groupes thaïlandais ou philippins, ayant déjà des activités économiques dans le pays (et donc une exposition aux risques juridiques du Vietnam).
4. Risques de change et de transfert
Les gros projets dans les PVDs sont financés en devises, le plus souvent en USD, car les capacités financières locales sont insuffisantes pour faire face aux coûts de construction. Il y a quelques exceptions comme l’Inde ou bien les plus riches des PVDs (Malaisie, Thaïlande, Brésil par exemple).
Certains projets dans l’énergie génèrent leurs revenus en USD, comme un projet de liquéfaction de gaz naturel exportant sa production à ses clients internationaux. Ceux qui génèrent leurs revenus en monnaie locale, comme les centrales électriques car la production est vendue dans le pays (sauf rares cas de projets exportant leur production dans un pays voisin comme Nam Theun 2 situé au Laos mais vendant l’électricité à la Thaïlande) sont exposés au risque de taux de change.
Ce risque est géré contractuellement avec une formule de révision du tarif, ce qui permet de maintenir un équilibre financier avec le passif libellé en USD. Les revenus restent en monnaie locale mais leur valeur en USD est maintenue.
Les investisseurs et les banques considèrent alors avec attention le risque de change et le risque de transfert. Le change est la capacité à changer la monnaie locale en USD afin de pouvoir rembourser les échéances de dettes et de rémunérer le capital.
L’engagement du gouvernement revêt donc une grande importance pour pouvoir « accéder » aux réserves en USD. Certains organismes, comme la Société Financière Internationale (SFI) par exemple, ont par statut un accès prioritaire aux réserves en devises du pays, ce qui permet de limiter le risque de change.
Le second risque est celui du transfert des USD en dehors du pays. Les virements internationaux de devises peuvent devenir interdits pendant une période prolongée, ou même être impossibles en pratique si le système financier du pays s’effondre. Comme les projets sont des investissements à long terme, les investisseurs sont sensibles à ce risque en fonction de l’historique des pays.
5. Risques de curtailment pour les projets d’énergies renouvelables
Le curtailment est la déconnection d’un actif de génération électrique du réseau, pour maintenir la stabilité du réseau électrique, ce qui consiste pour les connaisseurs à maintenir un voltage et une fréquence dans une bande étroite de valeurs. Les projets éoliens et solaires sont exposés à ce risque, car leur production est intermittente et le réseau électrique n’est pas toujours capable de gérer ces variations à court terme.
Un curtailement implique que l’électricité produite ne soit pas achetée ce qui engendre un manque à gagner pour le projet.
Les contrats de vente d’électricité comportent souvent une clause qui stipule que ce manque à gagner dû à une déconnection imposée par le gestionnaire du réseau électrique, ce qui est facilement vérifiable, doit être payé. Il y a cependant des exceptions comme lorsque la déconnection est rendue absolument nécessaire pour préserver la stabilité du réseau, auquel cas aucune compensation n’est due.
Cette exception peut être sujette à interprétation : le risque est perçu plus grand dans certains PVDs et non acceptable, alors qu’il le serait dans d’autres pays (comme en Europe).
En particulier, si un projet a un coût de l’électricité qui est plus cher que la moyenne des producteurs, des investisseurs pourraient craindre un usage abusif du curtailment par le gestionnaire du réseau électrique, dans le but de baisser son coût moyen de génération.
Le rôle du gouvernement est une fois de plus primordial pour atténuer ce risque, car il contrôle le gestionnaire du réseau.
Cas concret : il y a quelques années, le Vietnam n’a pas inséré de clause de curtailment standard dans le contrat type pour les nouveaux projets solaires photovoltaïques (comme pour l’arbitrage ci-dessus). Ce manque a été décrié par la plupart des investisseurs et des financiers internationaux.
6. Conclusion
Les risques abordés dans cet article, qui sont simplifiés pour alléger l’exposé, ne représentent qu’un échantillon réduit de tous les risques auxquels les investisseurs et les préteurs d’un projet d’infrastructure dans l’énergie s’exposent.
Mon choix s’est porté sur les risques qui ont vocation à être pris par les gouvernements des PVDs, car ce sont des risques qui sont difficilement maitrisables par le secteur privé. Un manquement significatif sur la couverture d’un seul de ces risques est souvent suffisant pour rendre impossible la réalisation d’un projet.
Les exemples de projets d’énergie réussis dans les PVDs, comme Nachtigal au Cameroun, font preuve d’une couverture acceptable de ces risques, nécessitant un très gros travail de préparation et de négociation avec le gouvernement et avec le support d’organismes internationaux. En effet ce projet implique des institutions multilatérales comme la SFI, la Banque Européenne d’Investissement, la Banque Africaine de Développement, et l’Agence Française de Développement. La SFI et le gouvernement du Cameroun sont également actionnaires du projet à 30% chacun, EdF en possédant les 40% restants. Un autre exemple intéressant est le gouvernement de l’Ouzbékistan qui lance en appels d’offres des projets solaires photovoltaïques, avec les conseils actifs de la SFI et de la Banque Asiatique de Développement. Ce sont des succès. On peut noter que TotalEnergies a remporté l’un de ces projets.
Dans la pratique, la plupart des PVDs essayent d’apporter des garanties aux risques abordés, mais dans le même temps essayent d’en limiter la portée pour des raisons de principe, ou de considérations politiques mais rarement pour des questions budgétaires. A défaut d’être bien conseillé par des spécialistes au fait de l’appétence aux risques des acteurs privés pour les projets d’infrastructures dans l’énergie, il arrive souvent que la répartition des risques ne soit pas acceptable. C’est une des raisons, selon moi, pour laquelle peu de financements de grands projets d’infrastructure dans l’énergie, sont réalisés dans les PVDs, malgré les besoins et l’existence de fonds très importants tant en capital qu’en dette qui désirent investir dans ce type de projets.
Marc-Henry Lebrun
Expert Financier pour les Infrastructures et l’Energie
Président du Groupe Energie de Ponts Alumni
Fondateur de la Tsolmon Ireedui Foundation en Mongolie
https://www.linkedin.com/in/lebrun-marc-henry-a095675/
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