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L'IA va-t-elle piloter nos projets ?
Les capacités de stockage, de traitement, de collecte des données sont presque infinies aujourd’hui…. La tendance est à la généralisation des objets connectés : du téléphone à la montre, des lunettes aux chaussures, du réfrigérateur au robot cuiseur, de l’automobile à la trottinette, il est possible de capter et mesurer l’activité en ligne de tout le monde et de toute chose en quasi-temps réel. Ce miracle de la technique est réalisable grâce à la miniaturisation des capteurs, au développement des réseaux fixes et mobiles et infrastructures Cloud pour le de stockage et les traitements de données mis en œuvre dans le monde entier. Votre simple smartphone contient à lui seul au moins dix capteurs permettant de capter et analyser les images, la couleur, l’orientation, la vitesse, l’accélération, la position, le son, le magnétisme de différentes ondes environnantes, les empreintes digitales, et bien d’autres paramètres, qui vont constituer une base d’informations riche pour qui sait les collecter interpréter. L’agrégation de ces données et leurs traitements par des algorithmes de plus en plus sophistiqués à des fins scientifiques, marketing, juridiques, politiques, ludiques, et bien d’autres, constituent ce qu’on peut appeler aujourd’hui L’Intelligence Artificielle.
L’IA va elle remplacer l’homme, comme on peut le lire fréquemment dans la presse grand public ?
J’ai lu récemment une prévision que l’IA va remplacer les chefs de projets en 2030. J’émettrais quelques réserves sur ce point.
Un des enjeux majeurs des projets d’intelligence artificielle est la collecte massive d’informations afin de définir des modèles prédictifs, en analysant le plus grand nombre de cas pour en dégager des tendances. La réponse sera plus ou moins précise et ciblée en fonction de la qualité des algorithmes utilisés et de la diversité et du nombre et de la précision des informations sur les collectés.
Peut-on appliquer ces pratiques au pilotage d’un projet ?
Il existe déjà aujourd’hui de nombreux outils utilisables en gestion de projets permettant d’agréger des données, de consulter les retours d’expérience, d’optimiser la gestion des ressources, de faire des prévisions budgétaires, d’identifier les compétences clés et les sociétés spécialisés, de consolider des tableaux de bord. Toutefois, un nombre important de projets continue d’échouer ou de dériver : est ce que l’IA pourrait permettre d’éviter ça ?
Je pilote différents types de projet informatique ou des études d’architecture de différentes natures depuis pas mal d’années, pour différents types de grandes entreprises, et je suis pourtant toujours confronté aux mêmes problèmes de base pour faire avancer les projets selon les bonnes pratiques :
- La qualification d’un besoin qui reste lié à une vision stratégique de l’entreprise, avec un niveau de risque proportionnel aux bénéfices escomptés, et donc un taux d’échec projet qui n’est pas forcement révélateur d’un échec business.
- Une déclinaison du besoin, des objectifs et des budgets potentiellement inégale entre les parties prenantes, entrainant des engagements inégaux des décideurs et de ses équipes, et donc un niveau de documentation en regard.
- Une évolution fulgurante des technologies rendant rapidement obsolètes les solutions et les informations sur l’existant ou sur les projets passés.
- La difficile constitution d’équipes dédiées, qualifiées sur les techniques du moment et motivées par un objectif commun.
- Des équipes de plus en plus externalisées et forfaitisées, multiculturelles, engagés pour des prix toujours tirés à la baisse avec un management orienté sur les engagements contractuels, qui ont donc peu d’intérêt à une information très détaillée.
- Des outils de pilotage de projets, souvent lourds et complexes à utiliser, avec un budget de fonctionnement restreint, sont utilisés à minima, et ce même si les bonnes pratiques de pilotage des projets prônent le reporting, la documentation et l’organisation des données.
- Un intérêt très limité de toutes les parties prenantes à communiquer largement et en détail sur les échecs et sur leurs causes profondes. Un relatif consensus se dégage souvent pour communiquer sur les points de satisfaction, les points d’insatisfaction s’ajustant souvent par une négociation financière permettant à chacun de sauver la face.
L’IA pourrait-elle aider à lever ces faiblesses ?
Certes, les capacités de traitement et de stockage d’aujourd’hui, et certainement celles de demain encore plus, avec l’avènement de l’ordinateur quantique, subissent une considérable accélération. Il n’en reste pas moins que la collecte de données pertinentes reste un vrai défi, surtout si on souhaite les associer à des pratiques comportementales ou managériales nécessaires dans le cadre du pilotage des projets. On peut rêver (ou pas ?) d’une machine permettant de définir ou de qualifier le besoin, de définir les solutions, de piloter la réalisation et de manager des équipes dans le timing et le budget imposé, tout en assurant le reporting et la documentation adaptés aux besoins présents, futurs. J’ai identifié au moins trois sujets spécifiques qui posent question, au-delà de la disponibilité de l’information, sur l’avenir de l’IA appliquée à la gestion des projets :
- Une stratégie au bénéfice de qui ? Aujourd’hui, seuls quelques acteurs possèdent les structures et les technologies permettant de proposer des solutions d’analyse massive des données. Dans le strict cas du pilotage des projets, les investissements colossaux que requiert l’IA, et le volume de projets nécessaires pour obtenir un résultat font que peu d’entreprises pourront disposer de leur propre plateforme. Dans ce cas quelle société aurait intérêt à confier ses données détaillées pour permettre à d’autre de bénéficier des fruits de ses efforts, et donc potentiellement de la concurrencer ?
- L’obligation de confidentialité empêche les entreprises, et qui plus est leurs partenaires dans la réalisation, de diffuser des informations détaillées sur les projets à des systèmes experts pour constituer une banque de données pertinente et partageable.
- Le pilotage de projets intègre une part importante de gestion humaine. Un récent article de Science et Vie (Mai 2019) concernant la difficulté des robots à analyser et restituer le comportement, les émotions et les particularités culturelles ou sociales des humains démontre qu’il reste une marge de progression importante avant de remplacer l’humain dans ces fonctions.
La révolution digitale est bien en marche, avec l’IA en fer de lance, et depuis un bon moment même. Nous avançons avec elle depuis plus de 30 ans. Elle touche juste aujourd’hui des secteurs économiques nouveaux, après avoir révolutionné l’industrie qui utilise depuis de nombreuses années les apports des calculateurs de plus en plus performants pour modéliser, simuler et assembler. Comment nommer la transformation de secteurs financiers, médicaux et pharmaceutiques, automobiles, aéronautiques depuis les années 80 sinon comme une intelligence artificielle apportant de nouvelles capacités d’analyse ? Une étape a été franchie avec l’avènement des smartphones et des réseaux sociaux dans la collecte et l’analyse massive des données du grand public pour accompagner (ou développer) de nouveaux besoins. Le déploiement massif des objets connectés va encore accroitre ces capacités. Mais cette démarche repose sur des investissements colossaux de quelques acteurs, engendrant de nouveaux risques qu’il conviendra de maitriser (propriété intellectuelle, vie privée, démocratie, adaptation aux changements) et qui nécessite de conserver un libre arbitre humain pour conserver le contrôle.
Alors oui, l’intelligence artificielle aide et va aider de plus en plus les projets de recherche de toute nature, de logistique, de marketing et bien d’autres, par sa capacité à agréger et interpréter un nombre de données disponible en croissance exponentielle et avec des capacités de collecte et de calcul sur une même logique. Elle va également permettre une accélération de nombreux projets de conception de toutes natures, en apportant de nouvelles capacités d’analyse pour l’aide à la décision, la gestion des risques et de traitement. L’actualité brulante du Covid 19 nous démontre tous les jours ses capacités prédictives et analytiques.
Des métiers et des fonctions ont disparus. De nouveaux sont apparus, et il reste encore de nombreux secteurs ou l’humain sera difficile à remplacer et restera économiquement rentable.
Alors pas de panique. HAL n’existe pas encore ! et pas sûr qu’il cherche vraiment à piloter des projets… (Elle est peut-être là la vraie intelligence artificielle). Il y a donc des chances pour que nous continuions à piloter et à collaborer avec les machines pendant de nombreuses années… surement de manière différente, mais en bonne intelligence…
Thierry Rault
thrault@manitis.fr
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