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Face aux crises, construire la résilience de l'entreprise
Un monde et une économie si fragiles
Crise financière hier, crise sanitaire aujourd’hui, crise climatique demain… Ceux qui pilotent une entreprise ou sont intéressés à sa pérennité, ne peuvent ni ignorer les risques ni omettre de s’y préparer…
La covid a révélé un monde fragile, interdépendant et promis à une succession de crises systémiques imprévisibles dans leur détail mais certaines dans leur principe. La prochaine crise peut même survenir rapidement, découlant de l’actuelle par une réaction en chaîne assez fréquente dans l’histoire. La pandémie pourrait par exemple avoir suffisamment aggravé l’endettement de certains Etats pour les amener à tailler dans la dépense publique ou à faire défaut sur leurs engagements financiers. De violentes secousses sociales peuvent aussi résulter de la grande pauvreté, brutalement accrue par le blocage partiel de l’économie mondiale…
Dès lors, comment construire une véritable résilience qui permette à une entreprise de limiter les dégâts lors des crises futures, voire d’en tirer des opportunités, alors même qu’elle est fragilisée financièrement et perturbée dans son « contrat social » par un télétravail pas toujours facile à bien mettre en œuvre ?
Investir dans le durable
La première partie de la réponse, classique, c’est l’investissement dans l’innovation. Pour rappeler un épisode d’histoire industrielle, c’est au moment où la grande dépression frappe l’Europe, à partir de 1930, que Philips sort de la monoculture de l’ampoule électrique à incandescence et multiplie les nouveaux produits : lampes à décharge, équipements de radiographie, postes de radio, rasoirs électriques et générateurs électriques à moteur Stirling, cela grâce à un investissement en R&D délibérément maintenu. « Investir au son du canon » a été ici le tournant qui a permis à Philips de devenir la multinationale que l’on sait.
La différence, c’est que l’innovation des années 2020 sera orientée vers la durabilité. Prenons l’exemple du secteur du tourisme, qui est loin d’être anecdotique puisqu’il représentait en 2019 10% du PIB et de l’emploi mondial (soit 330 millions d'emplois). Comment les entreprises de ce secteur vont-elles rebondir ? L’Organisation mondiale du tourisme a inscrit l'innovation et la durabilité parmi ses priorités pour la relance du tourisme. Dans l’approche dite du « tourisme régénératif », l’activité de ce secteur cessera d’être une activité consommatrice de ressources rares et destructrice de l’environnement qui cherche à limiter les dégâts pour devenir un outil permettant de populariser et de financer la cause de la préservation des écosystèmes fragiles et de la biodiversité, des cultures des peuples autochtones et de l’inclusion sociale et de l'action en faveur du climat. C’est dans ce cadre que se situeront les innovations techniques, sociales et organisationnelles qui feront renaître un secteur touristique prospère.
Investir dans l’humain
La deuxième partie de la réponse, c’est l’investissement durable dans l’humain, éthique, social, responsable (on va détailler ces trois points), car c’est du facteur humain que dépend la qualité de la réaction aux crises et donc la résilience.
Un chef d’entreprise indien, propriétaire d’une PME du Maharashtra, témoignait récemment dans un webinar dédié à la durabilité. Son entreprise avait surmonté les trois crises majeures de l’économie indienne en raison de la politique d’intégrité imposée par ses dirigeants malgré les difficultés inhérentes au contexte indien : l’instauration de la taxe carbone en 2010, la démonétisation en 2016 et la covid en 2020. Dans les deux premiers cas, la justification minutieuse de toutes les transactions avait handicapé de nombreuses entreprises, particulièrement celles dont une grande partie de la comptabilité s’était avérée inexplicable ! Dans le cas de la crise de la covid, l’absence de contentieux avec les fournisseurs, les clients ou l’administration et la fluidité des dédouanements a permis de relancer l’activité très rapidement et, au final, de dégager une croissance en 2020 par rapport à 2019 ! En Europe, les entreprises se dotent d’outils destinés à les protéger face aux risques économiques et réputationnels résultant de la loi Sapin 2, des règles de concurrence de l’UE et du RGPD. Outre l’adoption de valeurs claires par l’entreprise, les premiers outils de cet équipement sont le code de conduite et les processus d’alerte internes, appuyés par l’exemplarité du comportement des dirigeants. Cela permet de minimiser l’impact des crises.
Au plan social, l’engagement des salariés envers l’entreprise génère de nombreux bénéfices : turnover et absentéisme réduits, performance accrue, meilleure expérience client et réactivité en cas de coup dur. Il répond avant tout à l’engagement de l’entreprise vis-à-vis de son personnel : protection des emplois, sécurité et qualité de vie au travail, bonne organisation, orientation client et autonomie, communication et consultation des salariés, crédibilité de la hiérarchie, sentiment de justice et d’équité dans les évolutions de carrière, accès à la formation, équilibre vie privée/vie professionnelle... Le challenge de la covid a parfois eu un impact positif dans ce domaine. Un spécialiste de l’engagement des collaborateurs explique que certains dirigeants d’entreprise ont significativement amélioré les taux d’engagements mesurés en communiquant avec pertinence, en mettant en place rapidement des organisations et des outils informatiques adaptés, en prenant des mesures de protection de la santé et de la sécurité du personnel ou en maintenant les rémunérations. Leur implication personnelle a confirmé la réalité des valeurs humanistes affichées par l’entreprise, et les équipes ont été soudées par la fierté d’avoir surmonté une épreuve exceptionnelle. Le point d’attention, c’est de maintenir et d’accroître ce capital après la crise : il faudra rester fort sur la communication et l’écoute des salariés, le maintien du lien et de la proximité dans les équipes et en transversal, et la prévention des risques psycho-sociaux, notamment en cas de poursuite du télétravail. Quant aux entreprises pour qui la covid aura mis en route une spirale sociale négative, ces mêmes actions en sont encore plus urgentes voire vitales.
Autre moteur de l’engagement, la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) des entreprises. Les millennials, ceux qui n’étaient pas encore majeurs en l’an 2000, y sont très sensibles, or ils sont à présent majoritaires sur le marché du travail. Désirant avoir un impact positif sur le monde au travers de causes telles que la lutte contre le dérèglement climatique, la biodiversité, la lutte contre la pauvreté, la paix ou les discriminations de genre, de race, de sexualité, ils sont prêts à faire de véritables sacrifices, ce qui affecte les recrutements, car les jeunes candidats recherchent des employeurs à la politique de RSE affirmée. Digital natives, ils sont en outre prompts à identifier et à dénoncer le greenwashing. Les entreprises qui veulent recruter un personnel engagé et motivé doivent donc démontrer par la pratique à quel point elles se soucient de RSE. Favorable en termes d’image et de réputation, la RSE permet aussi de fédérer les salariés, comme l’a montré l’exemple de PSA, qui, pour assembler dans son usine de Poissy les respirateurs artificiels commandés par le gouvernement, a recruté sans difficulté, en plein confinement, 60 salariés volontaires, avec avis pleinement favorable des syndicats du site.
Comment les investisseurs vont nous y pousser
Au-delà des logiques de management, les dispositions évoquées plus haut forment la base de la résilience recherchée par les investisseurs et propriétaires d’entreprise. Impliqués dans le destin de long terme de leurs entreprises, ceux-ci participent en effet activement à un glissement très rapide vers un capitalisme socialement responsable.
Ainsi, des motions sur les mesures prises par la Direction des sociétés contre le changement climatique sont à présent soumises au vote dans des assemblées générales. En France, le groupe Vinci est le premier à s’y plier. Ce qui était la demande d’un fonds d’investissement militant est aujourd’hui la préoccupation commune à plusieurs gestionnaires d'actifs internationaux comme JP Morgan AM, Fidelity, Robeco, DWS, Aegon AM ou Nordea, et de grands fonds de pension anglo-saxons, qui exigent que les risques financiers liés au climat soient désormais intégrés dans les comptes et non dans un reporting annexe, et que les comités d'audit se portent garants de la bonne prise en compte des risques climatiques importants. « Publier des états financiers qui ne tiennent pas compte des impacts concrets du changement climatique revient à désinformer les dirigeants et les actionnaires et conduit à une mauvaise allocation du capital », écrivent-ils.
Mieux encore, Laurence Fink, directeur général de BlackRock, écrivait en janvier 2020 dans sa lettre annuelle aux PDG que « les preuves du risque climatique obligent les investisseurs à réévaluer les hypothèses de base de la finance moderne », et que BlackRock prendrait désormais des décisions d'investissement avec comme critère principal la durabilité environnementale. De la part du plus grand gestionnaire d'actifs au monde, gérant 7 800 milliards de dollars d'investissements, cette annonce n’a laissé aucun PDG indifférent, surtout pas ceux qui risquent de voir baisser le cours des actions de leur entreprise, devenue « à risque ».
Dans le domaine social, la très conservatrice Business Roundtable a publié en 2019 une déclaration sur les buts de l’entreprise cosignée par 181 PDG de grandes entreprises américaines qui s'y engageaient à diriger leur entreprise dans l'intérêt de toutes les parties prenantes : clients, employés, fournisseurs, communautés et actionnaires, un revirement complet par rapport au passé de la même organisation, jusque-là fidèle à la doctrine Friedman, à savoir la primauté des seuls actionnaires. Cela définit de facto une nouvelle norme en matière de responsabilité des entreprises aux Etats-Unis.
« Je pense que la pandémie a présenté une crise existentielle telle - un rappel si brutal de notre fragilité - qu'elle nous a poussés à affronter avec plus de force la menace mondiale du changement climatique et à considérer comment, comme la pandémie, elle va modifier nos vies » écrivait encore Laurence Fink dans sa lettre de 2021. Il n’y aura pas de retour en arrière. L’avenir concret à court-terme de chaque entreprise passe par une réflexion sur ses responsabilités, ses relations avec ses parties prenantes afin de construire un modèle d’entreprise résilient devant le risque climatique et social, et par conséquent devant les autres types de crise possibles.
Antoine Jaulmes [ Linkedin ] Consultant en politique éthique d’entreprise, RSE, transformation industrielle, efficience R&D et services. (Site pro : http://etikpratik.com/ )
Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°11 (avril 2021) en .PDF |
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