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Externaliser l'innovation : une approche incontournable !
Quelle radicalité dans ce point de vue !
Précisons de quoi nous parlons avant de nous faire écharper : (1) nous parlons d'externaliser l'innovation, pas (nécessairement) la R&D ou le bureau d'études, (2) nous parlons d'externaliser l'innovation par rapport aux fonctions d'exécution d'un modèle économique établi – et qu'il est capital de réaliser au mieux.
L'innovation, c'est quoi ? Pour faire court, c'est une invention qui trouve son marché – ou l’inverse. C'est donc à la fois (1) généralement du développement technique et (2) un lien fort avec le marché, donc avec le client et les problématiques auxquelles il fait face et que cherche à résoudre l'invention.
Les pratiques sont assez connues : dans le lean startup par exemple, il s’agit d’identifier les problématiques des clients, d’imaginer des solutions de grande valeur ajoutée pour les problèmes les plus aigus, de quantifier les gains pour le client, de développer un modèle économique qui crée de la valeur pour l’entreprise, de développer l’écosystème qui permettra de l’exécuter, tout cela en collaboration intime avec le client pour être certain de la pertinence de la proposition de valeur. Cela passe par des expérimentations, des essais, des ratages, des revirements (les fameux pivots), pour enfin arriver à quelque chose qui marche et qui peut changer d’échelle.
Alors que les compétences (R&D et marketing, pour ne citer qu'elles) sont bien sûr présentes, pourquoi l'entreprise ne serait-elle pas qualifiée pour mener à bien une démarche d'innovation sans l'externaliser ?
Pour quelques raisons simples :
- Innover est un autre métier
Le métier de l’entreprise est d’exécuter une proposition de valeur et un modèle économique ; le métier de l’innovation est de l’inventer.
Le métier de l’entreprise est de gérer des équipes importantes, des budgets importants, des processus d’exécution, de reporting, de contrôle, qui doivent laisser le moins de place possible à l’incertitude ; le métier de l’innovation est précisément la gestion de l’incertitude[1] et s’exécute par une approche commando, en petite équipe, avec peu de processus mais des méthodes spécifiques qui permettent une grande mobilité.
- Innover est une autre culture
2 métiers différents requièrent 2 cultures différentes.
En l’occurrence, gérer un processus qui se doit d’être établi, amélioré, sécurisé (qui bien entendu évolue avec son environnement) requiert une approche qui minimise le risque : il s’agit de protéger les revenus de l’entreprise et cette mission est essentielle.
Faire émerger l’innovation est au contraire accepter le risque – voire le provoquer et faire face jour après jour à toutes les surprises et les difficultés inhérentes à l’exploration : les problèmes ne se découvrent que les uns après les autres et rien ne peut être planifié comme dans un projet que l’on cadre au mieux pour éviter tout aléa.
- Le focus et l'agilité sont indispensables
Catulle, dans Carmina 62, a écrit « Amat victoria curam » : « La victoire aime que l’on s’occupe d’elle ». C’était la devise d’Albert Frère, comme la presse nous l’a rapporté à l’occasion de son décès : manifestement cette maxime a sa part de vérité.
Eh oui ! Pour que quelque chose fonctionne, il faut s’en occuper : une entreprise peut-elle se permettre d’exécuter son activité avec des managers et des équipes à temps partiel ? Généralement non. C’est la même chose pour l’innovation : si l’on ne s’en occupe pas à 100%, cela n’avance pas, ne produit rien, coûte sans rapporter et frustre tout le monde.
Alors que faire ? Comment rendre l’entreprise « ambidextre », aussi à l’aise avec sa main droite d’exécution de son modèle économique qu’avec sa main gauche de création de nouvelles activités et sans que l’une des 2 mains ne vienne entraver l’autre ?
Une approche consiste à demander à l’un des managers de l’entreprise ayant démontré ses capacités, d’abandonner ses équipes et ses budgets pour partir avec un faible budget et en commando prendre des risques binaires : l’innovation marche ou ne marche pas (et l’on sait que 90% des start-ups françaises échouent, il est vrai en partie par manque de méthode). Sans surprise, peu de managers sont prêts à faire le saut.
Une autre approche consiste à confier l’innovation à des équipes spécialisées : des managers connaissant les méthodes d’innovation, les ayant déjà pratiquées, ayant vécu le management de l’incertitude et s’y sentant bien, sachant gérer le développement de l’innovation en autonomie par rapport à l’entreprise. En autonomie, c’est-à-dire sans la pression des procédures ou des indicateurs de performance de l’entreprise – non adaptés au processus d’innovation, mais bien sûr sous la pression du devoir d’innover.
Des solutions existent : la création d’une filiale totalement autonome, staffée par une équipe à plein temps ; l’acquisition d’une start-up innovante ; l’excubation, ou développement de l’innovation par un tiers.
- La création d’une filiale autonome peut parfaitement fonctionner. Mais attention à 3 ingrédients indispensables : (1) pas d’interférence managériale de la maison mère, (2) du sang neuf pour être à même de penser en dehors de la culture de la maison mère, (3) une vraie connaissance des méthodologies d’innovation.
Nextdoor, solution de co-working lancée par Bouygues Immobilier, en est un exemple réussi.
- L’acquisition d’une start-up est une pratique généralement réservée aux grands groupes, pour des questions de ressources financières. Le gros écueil est l’intégration ! Il est si facile de tuer une start-up en lui voulant tellement de bien qu’on la serre très fort dans sa main droite d’exécution de son modèle économique.
Les GAFA réalisent de nombreuses acquisitions : Waze, Oculus VR, Shazam en sont quelques exemples.
- Quant à l’excubation, elle consiste à confier le développement de l’innovation à des spécialistes. Son succès tient à ses ingrédients : (1) la connaissance et l’expérience des meilleures pratiques, (2) la passion de l’innovation, (3) des ressources dédiées à 100%, (4) une vision détachée du modèle économique dominant de l’entreprise, (5) pas d’interférence managériale de la maison mère. En y ajoutant la possibilité de détachement de quelques personnes de la maison mère l’on facilitera l’intégration dans l’entreprise de la solution, une fois celle-ci développée. Le résultat, c’est la rapidité des développements, la robustesse des propositions de valeur et des modèles économiques, l’ouverture au monde extérieur et par là-même la production d’innovations radicales par rapport à l’activité de l’entreprise.
La MACIF, par exemple, a excubé pendant 3 mois « Mon assistant Macif » au sein d’une équipe d’experts du digital. Le succès a été au rendez-vous et la MACIF a annoncé que d’autres projets seraient menés de cette manière dans un avenir proche.
Trois réponses différentes à l’impératif d’externaliser l'innovation par rapport aux fonctions d'exécution du modèle économique de l’entreprise, pour en assurer la réussite.
Guillaume Charpy
www.linkedin.com/in/guillaume-charpy
Damien Cuoq
linkedin.com/in/dcuoq
[1] L’incertitude est le lot de l’entreprise dans son ensemble ; nous parlons ici d’une incertitude spécifique aux métiers qui cherchent pour trouver, dont la R&D est un exemple bien connu
Consulter les autres articles parus dans la Lettre XMP-CONSULT n°2 (janvier 2019)
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