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Et si les contraintes favorisaient créativité et innovation ?

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Les leçons de la pandémie 

Covid-19 a entrainé au début de 2020 des bouleversements majeurs et brutaux dans la vie des organisations, par exemple la fermeture physique des  commerces et des établissements scolaires.
Les entreprises ont dû, dans l'urgence et avec uniquement les ressources à leur disposition dans l'instant, assurer la continuité de leur activité, voire dans certains cas leur survie même, ce qu'elles ont réussi, suivant les secteurs, grâce à leurs capacités d'anticipation et de résilience, mais aussi de créativité et d'innovation.


La crise Covid-19, et ses contraintes, a en fait amené une accélération du développement, de l'introduction et de l'adoption d'innovations d'usage, de processus et de modèles d'affaires. Citons, à titre d'exemple, les restaurants, où le lieu de création de valeur n'est plus la salle, avec l'expérience client liée, mais la cuisine où se prépare un produit culinaire ensuite livré. Ou le secteur éducatif, qui était traditionnellement plutôt réticent à adopter l'innovation digitale et a basculé quasi instantanément vers l'enseignement à distance.


Cela peut sembler paradoxal si l'on se rappelle certaines des perceptions qui pouvaient exister avant la crise.

La créativité, clé pour innover, n'est-elle pas présentée comme une pensée en dehors du cadre, libérée des acquis et des règles ?  Et que celles-ci sont les barrières à l'innovation les plus fréquentes ? Les réticences dues à la culture des collaborateurs et des dirigeants, comme l'aversion au risque et à l'échec, puis la focalisation sur le court terme, les réglementations et processus contraignants et le manque de financements[1].La pandémie, période de contraintes fortes, aurait dû alors être peu favorable à la créativité et à l'innovation.

Comment expliquer la créativité et l'innovation sous contraintes ?

Le processus créatif demande en fait de relier entre eux des informations, des savoirs et des pratiques d'origine diverses et déjà existants, pour faire émerger une nouvelle idée, qu'il s'agisse d'un concept ou d'une solution à un problème concret. Ce travail de recherche et de mise en perspective a été résumé par un acteur emblématique de l'innovation, Steve Jobs, quand il disait 'creativity is just connecting things'.
A cela a été ajouté, au sein d'une entreprise souvent citée pour ses pratiques d'innovation (Google), 'Creativity loves constraints'[2]. Parce que, sans contraintes, s'ouvre le chemin de facilité, avec juste l'émergence d'idées toutes faites et préexistantes chez la personne ou au sein du groupe chargés d'être créatif. Limiter le champ de la créativité a pour objectif de créer un effet challenge, qui motive à aller au-delà du déjà connu ou convenu. Les études de recherche empirique sur le sujet confirment à aujourd'hui que mettre des contraintes est favorable à la créativité et à l'innovation[3].

Comme montré par la pandémie, les contraintes peuvent être de trois types:

  • sur les moyens alloués (temps imparti au projet, ressources humaines et opérationnelles, financements),
  • sur le processus de créativité et d'innovation (par exemple approche par l'expérimentation et les tests, ou modalités de travail entre membres de l'équipe),
  • sur les résultats attendus[4].

L'innovation implique quant à elle l'introduction dans un marché ou une organisation d'une offre ou d'une pratique qui change des usages, des attitudes et croyances. L'innovation est dérangeante pour toute personne habituée à la situation antérieure. Faire adopter l'innovation, c'est donc trouver les moyens de dépasser la résistance au changement.

Cette résistance est de plus amplifiée lorsqu'il y a compétition entre différentes priorités au sein de l'entreprise, une disponibilité et attention des dirigeants limitée et changeante, et des besoins clients tout juste émergents.
Dans ces conditions un sentiment d'urgence est souvent salutaire pour l'innovation. C'est ce qu'a permis la pandémie, avec des objectifs très court terme, une focalisation extrême des énergies et de nouvelles exigences client fortes.

Comment réussir à déployer créativité et innovation sous contraintes ?
Exemples durant la pandémie

L'expérience montre que le plus difficile est de trouver le bon niveau de contraintes pour la créativité et de créer un sentiment d'urgence de court terme pour l'innovation.

Les contraintes sur la créativité doivent être adaptées à la dynamique de l'équipe en charge du projet créatif, à la culture d'entreprise et au profil psychologique des personnes. Des contraintes trop élevées deviennent démotivantes et risquent d'empêcher les croisements fertiles entre domaines d'expertise et angles d'approche, et de ne pas pouvoir exploiter les découvertes dues au hasard. Trop contraindre la phase de créativité revient à rester dans l'innovation incrémentale.

Deux exemples illustrent bien la contrainte créatrice réussie en matière de stratégie lors de la pandémie:

  • Spotify, le diffuseur européen de contenu audio, qui a dû faire face à une chute drastique des revenus publicitaires (le modèle d'affaire dominant dans son industrie) et qui a développé en réponse une nouvelle activité, la publication et la curation de podcasts.
  • Les fournisseurs de vins et spiritueux (une industrie ancrée dans le tangible, terroir et plaisir des sens) qui ont perdu avec la pandémie tout contact direct avec le client, visite du domaine et dégustation sur place n'étant plus possible. Ils ont créé alors, malgré la contrainte des distances, de nouvelles opportunités de convivialité et d'émotions partagées, avec dans de nombreux pays envoi d'échantillons et séance de dégustation conduite en ligne.

Créer un sentiment d'urgence et de nécessité de l'innovation demande de découper le projet d'innovation en sous projets courts, expérimentaux, qui ont l'avantage de concrétiser très vite le changement, aussi bien au niveau des comportements que des perceptions et croyances. L'urgence est renforcée quand le projet n'est pas qu'une activité additionnelle parmi une longue liste d'objectifs, et qu'il est accompagné par un sponsor fort dans l'organisation.

Outre la contrainte, les deux exemples suivant d'accélération de l'innovation lors de la pandémie illustrent la valeur d’une implication forte des dirigeants (qui sont par ailleurs très médiatisés et impliqués dans la gestion de leur entreprise):

  • le développement en dix jours d'un ventilateur pour unité de réanimation, en réutilisant les technologies déjà maitrisées par les équipes, de par la volonté de James Dyson (les équipements ménagers, par exemple aspirateurs, du même nom) ;
  • l'impression en 3D de masques de protection pour le personnel soignant, après aussi réorientation en quelques jours de certaines de leurs capacités industrielle, par Blue Origin (fondé par Jeff Bezos, d'Amazon) et SpaceX  (fondé par Elon Musk, de Tesla)

En conclusion, il aura bien été mis en évidence en 2020 que créer et innover est possible, non pas malgré les contraintes, mais peut être bien à cause d'elles.

Philippe Ginier-Gillet [ Linkedin ]

[1] Dans le rapport 'Technology Innovation Strategy Survey' de 2019 du Gartner Group, ces barrières sont citées dans des proportions équivalentes:  culture à 28% et 25%, autres facteurs à 30%, 27% et 24% respectivement.
[2] Notamment par Marissa Mayer, alors VP de Search Products & User Experience à Stanford en 2006.
[3] c.f. 'Creativity and Innovation under constraints : a cross disciplinary integrative review' dans 'Journal of Management' de Janvier 2019, où sont résumés les résultats concordants de 145 études sur le sujet.
[4] A titre d'exemple, toujours suivant Mayer, Google impose pour le développement d'applications des critères stricts en termes de temps de chargement et d'indépendance vis à vis de la résolution des écrans.

 


Télécharger la Lettre de XMP-Consult n°11 (avril 2021) en .PDF



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