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Plaidoyer pour la confiance
Oui, le mot confiance est galvaudé ! On le voit fleurir sur les publicités, comme celle de La Poste il y a deux ans ou plus récemment celle de la MAIF ; comme s’il fallait le rappeler pour s’en convaincre ! Cette forme d’incantation, de leitmotiv dans la communication, ressemble parfois aux propos de Kaa, le serpent du Livre de la Jungle, qui scande « Aie confiance » pour hypnotiser Mowgli et mieux assurer son emprise sur lui. Dans les entreprises aussi, le « faites-moi confiance » ou « faites confiance dans l’entreprise » est souvent asséné par les dirigeants pour mener les transformations qui s’accélèrent sans toujours s’assurer de l’adhésion.
Or, si « on ne gouverne pas par décret » comme le disait Michel Crozier en parlant de la société et de l’administration, il en est de même de la confiance dans les entreprises : elle doit se construire et être pavée d’évidences et de preuves qui vont bien au-delà de la simple déclaration.
Et pourtant, la confiance est un levier d’efficacité ; ce n’est pas simplement un supplément d’âme.
« J’ai compris que c’était gagné »
Tout d’abord, la productivité n’est pas uniquement assurée par la fiabilité des processus industriels ou de service. Elle passe par l’engagement qui rime avec un sentiment de bien-être au travail. Se sentir impliqué et respecté, écouté. On est loin du système taylorien où on cantonne le salarié à des tâches répétitives dans des processus établis et inamovibles ; les individus veulent comprendre l’environnement de leur poste de travail et le sens que leur travail a dans la construction collective. La transformation digitale des entreprises et la mise à disposition des outils du numérique amplifient cette recherche d’autonomie. Il faut se sentir en confiance pour donner le meilleur de soi. Je me souviens, au Brésil, alors qu’on mettait en place une démarche de progrès continu par la Topomaintenance (TPM), d’un chef d’équipe d’un outil critique qui m’a pris par le bras pour me dire « viens, je vais te montrer ! » ; j’ai compris alors que « c’était gagné » car la relation homme-machine avait dépassé le stade d’exécution pour aller vers une réelle appropriation de l’équipement. Il était fier de la confiance qu’on lui avait manifestée. L’humain précède l’acte de production !
« La transversalité au service d’un ambition commune ».
Ensuite, la solitude souvent ressentie par les dirigeants peut, et c’est encore trop souvent le cas, l’inciter à se replier dans un modèle pyramidal, d’autorité brute, dans un splendide isolement autoritaire… assez décourageant pour ses collaborateurs ! Au premier écueil, de marché ou de qualité, la sortie de route est n’en est que plus rapide et moins contrôlée. D’autant que ce mode de management n’a pas appris aux collaborateurs à réagir et en faisant appel à leurs connaissances métier pour gérer une situation de crise. Ou alors, le dirigeant peut opter pour le collectif, c’est à dire une organisation décentralisée et un schéma de délégation partagé. Cela veut dire qu’il doit établir un climat de confiance avec ses collaborateurs directs, faire fonctionner son Comité de Direction non pas comme un Comité de Directeurs qui ne s’intéressent qu’à leur partie, mais comme une équipe de sport collectif où chacun a sa place et son rôle dans une organisation privilégiant la transversalité pour la réalisation d’une ambition commune. C’est d’autant plus vrai qu’à l’heure du numérique, qui incite à la collaboration par projets, plus personne ne peut avoir la connaissance de tout ! Dans mon activité de conseil, j’ai rencontré des ETI, performantes (encore ?) où le patron est au four et au moulin. Il continue à gérer en direct les unités et les acquisitions faites, il a un management en étoile avec un nombre déraisonnable de « direct-reports ». Il y est certes reconnu pour son leadership, mais dans une organisation étouffée, alors qu’il vaudrait mieux libérer les initiatives. Le rôle du dirigeant est celui d’un chef d’orchestre et non d’un homme (ou femme) orchestre, c’est-à-dire qui organise le concert sans tout faire. Cela lui permet d’être tourné plus vers l’extérieur (car il a confiance que l’intérieur est en de bonnes mains), vers l’anticipation et la co-construction d’une vision de l’entreprise. En un mot, la confiance libère !
« Des nouvelles générations qui mettent la confiance au cœur de leurs choix ».
Enfin, et pour ne pas rallonger inutilement la liste, il faut citer la question des jeunes des générations X, Y ou Z, ou …, qui plus que leurs prédécesseurs, ont besoin d’adhérer à ce qu’on leur demande faire. Ils ont besoin de sens et questionnent plus souvent leurs dirigeants sur le pourquoi que sur le comment. À la question du salaire, ils ajoutent la question des valeurs de l’entreprise et de leur incarnation : « qu’est-ce que cela m’apporte dans mon équilibre personnel, en quoi cela me nourrit intellectuellement ? ». En vingt ans de vie industrielle où j’ai rencontré de nombreux candidats et embauché quantité de personnes, j’ai eu le sentiment d’un déplacement : avant, je retenais quelqu’un pour un poste donné et défini par son contenu. Rapidement, la situation s’est inversée : j’étais face une personne qui voulait connaitre le projet de l’entreprise, les modes de relation au sein de l’équipe, les interactions et les valeurs de l’entreprise. Il m’est même arrivé d’être interviewé par les candidats collaborateurs de mes adjoints car ils voulaient s’assurer que ce qui leur était présenté était bien incarné par le patron ! En résumé, la confiance se mérite, c’est elle qui déclenche le plein engagement et soyez certains qu’elle demeure vigilante.
« La confiance n’est pas aveugle »
La confiance se nourrit d’un cadre et d’objectifs bien compris. Libérer l’initiative, déléguer, décentraliser ne veut pas dire que chacun fait ce qu’il veut. Cela n’exclut pas, bien au contraire, le maintien d’un contrôle et d’un reporting serré, mais moins sur des chiffres et des faits que sur la route qui conduit aux résultats escomptés et expliqués à chacun. Elle doit être basée sur une vraie décentralisation où chacun sait ce qu’il a à faire et avec qui interagir, dans un schéma de subsidiarité, c’est-à-dire ne pas faire remonter, pour autorisation ou validation, ce qui peut être décidé localement. Dans une certaine mesure, on pourrait même dire que cette forme de management par la confiance, fondée sur le respect de la parole donnée et l’écoute, est plus demandeuse que la simple autorité qui alloue à chacun une tâche ou une série de tâches. Mais elle apporte plus de résultats !
Je relis toujours avec plaisir « La discorde chez l’ennemi » du capitaine de Gaulle (le même) qui expliquait que la grande force des armées prussiennes au XIXème siècle et au début du XXème venait de la capacité d’initiative laissée aux chefs de régiment pour modifier les schémas d’intervention en fonction des circonstances locales dès lors qu’ils respectaient le schéma global et les interactions aux limites avec les autres régiments. Une démonstration de confiance dans un contexte très encadré !
Efficacité, productivité, réponse aux attentes des individus, réactivité, agilité, créativité des organisations, voici quelques attributs d’un management par la confiance ! La confiance est un actif invisible et intangible de l’entreprise. Pas plus que l’actif que constitue un portefeuille client ou les compétences des collaborateurs, on ne pourra la lire dans le bilan de l’entreprise, mais plus certainement dans ses résultats.
Jean-Yves Gilet
Octobre-novembre 2018
jygilet@gilet-ti.com
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